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Tentatives de déstabilisation en Afrique: la France dans le collimateur

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Des partisans de la junte au Niger réclament le départ des soldats français lors de leurs manifestations à Niamey, le 1er septembre 2023. ©AFP

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

Depuis plusieurs années, une vague de contestation sans précédent contre l’Occident déferle en Afrique. Des manifestations, des insurrections, des appels à la résistance et à la décolonisation éclatent partout sur le continent.

L’héritage occidental en Afrique est marqué par la déstabilisation et la destruction, résultant de siècles de domination par la force, la manipulation et la tromperie.

Même après la décolonisation, la déstabilisation s’est poursuivie par le soutien à des régimes autoritaires, le coup d’État contre les dirigeants patriotes aboutissant à l’assassinat de certains et l’exil forcé pour d’autres, et la participation à des conflits armés.

Aujourd’hui, les États africains prennent de plus en plus de distance par rapport à l’Occident et refusent de continuer à être les victimes silencieuses du néocolonialisme occidental en l’occurrence français.

Dans ce contexte, Alger affirme avoir déjoué un complot orchestré par les services de renseignement français et accuse Paris de vouloir déstabiliser le pays, sur fond de crise diplomatique entre les deux pays exacerbée en juillet par la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Par ailleurs, le Niger aurait arrêté un individu soupçonné d’être un agent de la DGSE opérant sous une fausse identité. Cet événement renforce les accusations d’ingérence portées par Niamey contre Paris et illustre les tensions croissantes entre la France et les pays de la région sahélienne.

L’Algérie accuse officiellement la France de tentative de déstabilisation

Au cœur d’un énième épisode de tensions entre Paris et Alger, un documentaire diffusé récemment sur des chaînes publiques algériennes, a révélé que les services de renseignements algériens avaient déjoué un complot impliquant leurs homologues français.

Trois médias algériens, dont le quotidien gouvernemental, rapportent que l’ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, a été convoqué par les Affaires étrangères algériennes, accusant Paris de vouloir « déstabiliser » le pays et de soutenir des groupes hostiles à l’État.

Selon Le Figaro, « cette convocation ferait suite à la diffusion d’un documentaire, la semaine dernière, à la fois sur la chaîne de télévision officielle et sur AL24, la chaîne d’information continue publique. On y apprenait que les services de renseignement algériens avaient déjoué un complot orchestré par les services de renseignement français visant à déstabiliser l’Algérie ».

Selon le pouvoir algérien, la DGSE française, via l'ambassade de France, aurait demandé à un Algérien de 35 ans, présenté comme un ancien membre de Daech en Syrie et en Irak, revenu en Algérie et ayant purgé une peine de trois ans de prison, « de se rendre au Niger, de se rapprocher des radicaux à Alger, de fournir des informations sur les caméras de surveillance et les patrouilles de police en civil, mais aussi de « former un groupe terroriste avec ses ex-codétenus à Alger » en vue d’organiser des attentats sur le sol algérien ».

D'où le mécontentement d'Alger et la convocation de l'ambassadeur auquel il aurait été précisé que l’Algérie « n’acceptera plus les pratiques et les actes de chantage émanant des autorités françaises et des cercles qui collaborent avec elles, notamment les lobbys et les factions de l’extrême droite », selon le quotidien arabophone El Khabar, qui ajoute : « La patience de l’Algérie a ses limites et son terme. L’Algérie se réserve pleinement le droit de répondre si ces actions persistent. »

Alger reprocherait aussi des « réunions fréquentes organisées dans les locaux diplomatiques français en Algérie avec des individus notoirement hostiles aux institutions de l’État ».

À l’origine de la crise diplomatique entre Alger et Paris : la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental le 30 juillet dernier, suivie par la décision de l’Algérie de retirer « avec effet immédiat » son ambassadeur en France.

Regain de tensions entre la France et le Niger

Des dizaines de manifestants ont envahi les rues de Niamey, capitale du Niger, ces derniers jours, en réponse à l’appel lancé par des organisations de la société civile.

Cette mobilisation fait suite à une déclaration commune de plusieurs associations et groupes civiques, dénonçant des tentatives présumées de déstabilisation dont le pays serait la cible.

Le contexte de cette manifestation est marqué par l’arrestation récente d’un ressortissant français à Niamey, accusé d’espionnage et soupçonné d’appartenir à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les services de renseignement français. Cet incident a amplifié les tensions et ravivé les soupçons envers des ingérences extérieures. Les autorités nigériennes affirment que cet incident apporte de nouvelles preuves des tentatives de déstabilisation françaises dans la région.

Les manifestants appellent les autorités militaires à intensifier les efforts pour assurer le développement militaire et économique du pays. L’objectif est clair : garantir que le Niger ne soit plus vulnérable à des ingérences étrangères ou à une éventuelle recolonisation.

Des documents sensibles et des informations présumées appartenant à la DGSE auraient également été saisis, selon la télévision nationale nigérienne RTN. Ces éléments s’ajoutent à une série d’accusations déjà formulées par le gouvernement de transition dirigé par le général Abdourahamane Tiani.

Depuis juillet 2023, et le départ du président Mohamed Bazoum, allié de longue date de Paris, les relations entre la France et le Niger se sont considérablement détériorées. Niamey accuse Paris de mener des opérations secrètes visant à restaurer son influence, notamment à travers des bases arrière situées dans des pays voisins comme le Nigeria et le Bénin.

Les médias nigériens et les alliés du Niger dans la région comme le Mali et le Burkina Faso affirment que la France utiliserait des moyens clandestins pour soutenir des groupes armés ou infiltrer le territoire de ces pays. Ces actions, qualifiées de « guerre hybride », combineraient des campagnes de désinformation et des opérations sur le terrain.

Lors d’une audition devant la commission défense de l'Assemblée nationale, Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d'État à la coopération et envoyé spécial du président français Emmanuel Macron en Afrique, a révélé que Paris avait envisagé une intervention militaire au Niger après le coup d'État de juillet 2023.

Cité par le média panafricain Mondafrique, l’envoyé spécial de Macron a affirmé que la France avait l’intention de déployer en urgence 2000 soldats français à Abidjan en prévision d'une opération militaire contre Niamey.

Espions français en Afrique de l’Ouest: une opération secrète démasquée

Le média ouest-africain AES Info a révélé le 28 octobre qu’une « opération secrète » menée par la France a été démasquée au Sahel. Le média dit avoir identifié des agents français et affirme que Paris entend déstabiliser les trois pays alliés.

Le média, créé à l'initiative des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), c’est-à-dire le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dévoile les noms de personnes qu’il identifie comme des agents et informe également de la construction de camps militaires français dans la région.

Sont ensuite énumérés les noms de Français qui auraient été identifiés comme travaillant au Sahel sous fausse identité à la frontière béninoise ou encore au Tchad et au Nigéria. Ces agents auraient, selon AES Info, mis en place un réseau complexe, utilisant de fausses ONG comme couverture pour leurs activités.

Le média les accuse par ailleurs d’avoir fourni du matériel militaire et de communication à des organisations terroristes notamment Boko Haram. Leur activité consisterait également à financer des groupes armés pour que ceux-ci s’installent dans des zones critiques et provoquent des crises humanitaires, permettant ainsi à des « ONG fictives d'intervenir et de fournir une couverture logistique ».

Le documentaire présenté par l’AES explique en outre que la France construirait deux camps au Nigeria, à Guigani et Garingata, où « seront approvisionnés » en armement les « terroristes de la forêt » de Sarma puis ceux de la zone des trois frontières. Enfin une autoroute logistique de Kandi à Sokotto aurait été prévue dans le but d’attaquer simultanément des zones dans les trois pays de l’AES.

Ces tensions s’inscrivent dans un contexte où la France peine à maintenir sa position dans la région. L’affaire des agents de la DGSE présumés illustre une rupture grandissante entre Paris et les pays sahéliens qui cherchent à affirmer leur indépendance stratégique et politique. Le Niger, soutenu par ses alliés du Mali et du Burkina Faso, semble déterminé à contester l’influence française.

Ces évolutions marquent un changement fondamental dans les relations entre la France et ses anciennes colonies en Afrique parallèlement à la montée en puissance de dirigeants locaux souverainistes, et s'ajoutent aux retraits militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger à la suite des coups d'État survenus dans ces trois pays au cours des dernières années.

Le 6 juillet, le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont formé la confédération « l'Alliance des États du Sahel » (AES), dans la continuité d'un pacte de défense mutuelle signé en septembre 2023. L'AES est fondée pour contrer l’influence de la CEDEAO, une organisation que ces trois pays jugent instrumentalisée par l’Occident et plus particulièrement par la France, ex-puissance coloniale.

L’Occident face au vent du souverainisme africain

L'Occident a étalé sa cupidité et son arrogance sur le continent africain depuis des siècles, laissant derrière lui un sillage de destruction, de souffrance et de mort. Les chaînes de l'esclavage, les mitrailleuses de la colonisation et les mensonges du néocolonialisme ont tous contribué à réduire l'Afrique à un état de dépendance et de misère. Aujourd'hui, les Africains se réveillent et refusent de continuer à être les victimes silencieuses de l'impérialisme occidental, dénonçant ainsi les crimes de l'Occident et réclamant justice pour les peuples africains.

L’héritage colonial en Afrique constitue un fardeau persistant, résultant de siècles de domination européenne qui ont exploité les ressources naturelles tout en imposant langues, cultures et systèmes politiques étrangers. Cet héritage a laissé des frontières artificielles engendrant fragilité et instabilité étatiques, et a placé les économies africaines sous une dépendance prononcée envers l’Occident, avec des ressources locales régulièrement exploitées au profit de multinationales sans bénéfices pour les populations locales.

Les politiques économiques imposées par des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale accentuent pauvreté et inégalités. Parallèlement, l’ingérence occidentale dans les affaires politiques africaines favorise la perpétuation de régimes autoritaires, provoquant une déstabilisation régionale et montée en puissance de milices.

En réponse, une résistance monte en puissance, portée par des Africains réclamant souveraineté et dignité à travers une véritable décolonisation. Le cas des dirigeants de l’Alliance des États du Sahel (AES) est très illustratif. Les jeunes, en particulier, utilisent les réseaux sociaux pour catalyser ce mouvement.

La France a trop longtemps conservé ses colonies, laissant derrière elle un mauvais souvenir. Dans le même temps, la présence militaire française en Afrique a commencé à décliner rapidement sous le président français, Emmanuel Macron. En 2020, il avait rencontré les chefs de cinq pays du Sahel. Et parmi ces cinq, le seul qui reste au pouvoir est le président mauritanien.

Ainsi, la révolte africaine contre l’Occident, riche et complexe, trouve ses racines dans cet héritage colonial, une exploitation économique persistante et une manipulation politique constante, révélant un besoin urgent de restaurer la souveraineté africaine.

Ghorban-Ali Khodabandeh est journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV