Par Ghorban-Ali Khodabandeh
La banque d’investissement Natixis prévoit, par ses calculs, un scénario pessimiste pour le futur de l’économie française. Mercredi 16 août, cette filiale du groupe Banque populaire-Caisse d’épargne (BPCE) publiait une note prévisionnelle pour estimer le déficit public français d’ici à 2027 si la situation reste la même qu’aujourd’hui.
Estimé à 124,5 milliards d’euros en 2022 par l’Insee, soit 4,7 % du PIB, le déficit public correspond aux pertes d’argent de l’Etat : ses recettes annuelles sont aujourd’hui inférieures à ses dépenses, notamment pour faire tourner l’administration publique.
En 2022, année marquée par la guerre en Ukraine et une crise énergétique mondiale, la France avait enregistré 164 milliards d’euros de déficit sur l’ensemble de l’année, du jamais-vu dans l’histoire du pays.
Si ce calcul reste celui d’une banque privée, il fait écho aux prévisions de la Banque de France, qui estimait en juin que le déficit public « resterait supérieur à 4 % du PIB à l’horizon 2025 ». Quelques jours plus tard, c’était au tour de la Cour des comptes de juger l’objectif d’un déficit à 3 % en 2027 « atteignable, au prix d’un effort substantiel », notamment face aux investissements écologiques à venir. Et ce, même en partant du principe que la politique économique change.
Selon les dernières Perspectives économiques mondiales publiées par la Banque mondiale, la croissance a nettement ralenti et le risque de tensions financières dans les économies de marché émergentes et en développement s’intensifie dans un contexte de taux d’intérêt élevés.
La Banque mondiale évoque un scénario négatif dans lequel les tensions bancaires entraîneraient une forte contraction du crédit et des turbulences plus importantes sur les marchés financiers des économies avancées.
Selon les dernières prévisions, les chocs simultanés causés par la pandémie, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et le ralentissement économique brutal dans un contexte de resserrement des conditions financières mondiales constituent un sérieux revers pour le développement, qui persistera dans un avenir prévisible.
Toujours selon le rapport, dans les économies avancées, la croissance devrait chuter de 2,6 % en 2022 à 0,7 % cette année, et rester faible en 2024. Après une croissance de 1,1 % en 2023, l'économie des États-Unis devrait ralentir à 0,8 % en 2024, principalement sous l’effet de l'impact persistant de la forte hausse des taux d'intérêt enregistrée ces dix-huit derniers mois. Dans la zone euro, la croissance devrait tomber de 3,5 % en 2022 à 0,4 % en 2023, en raison de l'effet différé du durcissement de la politique monétaire et de l'augmentation des prix de l'énergie.
La zone euro se trouve techniquement en récession avec le recul du PIB sur deux trimestres consécutifs, de -0,1% d'octobre à décembre 2022 et à nouveau de -0,1% entre janvier et mars 2023, d'après les données révisées et publiées récemment par Eurostat, l’Office européen des statistiques.
L'Office statistique de l'Union européenne, Eurostat, tablait jusqu'ici sur une stagnation au dernier trimestre 2022, par rapport au trimestre précédent, et sur une croissance de 0,1% au premier trimestre 2023. Cette révision à la baisse tient au recul à l'entrée en récession du moteur économique de la zone euro, l'Allemagne. Berlin a reconnu fin mai subir une récession technique, pénalisée par les difficultés de son industrie.
Avec cette révision brutale à la baisse, toutes les perspectives économiques du continent s'orientent à la baisse. Les anticipations de la Commission européenne qui projetait une croissance de 1,1% en 2023 dans les 20 pays partageant la monnaie unique paraissent alors compromises.
Autre raison du ralentissement économique qui frappe l'Union européenne, la politique de hausse des taux d'intérêt de la Banque centrale européenne (BCE). Ce resserrement de la politique monétaire restreint la demande de crédit des ménages et des entreprises, freinant ainsi les investissements, notamment dans l'immobilier, ce qui se traduit par une baisse d'activité dans la construction.
En plus des facteurs mentionnés, la récession dans le secteur économique le plus important d'Europe, l'Allemagne, montre que l'économie du continent vert a été frappée par l'inflation et les politiques restrictives. Par conséquent, le PIB en Allemagne et aux Pays-Bas a diminué à 0,3 % et 0,7 %, respectivement. Mais contrairement à la France, l'Italie et l'Espagne, ils ont connu une croissance positive.
À noter que l'agence Fitch, l'une des trois principales agences de notation financières, invoquant les tensions sociales récentes en lien avec la réforme des retraites et leurs conséquences ainsi que la perspective de croissance moins élevée que prévu, a récemment abaissé la note souveraine de la France. Fitch a notamment justifié sa décision par la persistance des déficits budgétaires en France, le niveau élevé de dette publique et l’augmentation de la charge de la dette. Concrètement, les notes servent d'indicateurs de risque aux marchés, et donc influencent indirectement le taux d'intérêt auquel va emprunter l'État. Plus sa note sera haute, plus le taux sera faible, et inversement.
Il y a quelques mois, le gouvernement faisait adopter définitivement son projet de réforme des retraites prévoyant un report de l'âge légal de 62 à 64 ans, grâce à l'appui de l'article 49.3 de la Constitution qui permet de faire passer un texte sans vote au Parlement.
Cette décision a entraîné un net durcissement de la contestation et plusieurs journées de manifestations violentes sur tout le territoire, rappelant l'épisode des Gilets jaunes à partir de 2018.
La situation de blocage actuelle pourrait aussi « créer des pressions en faveur d'une politique budgétaire plus expansionniste ou d'un renversement des réformes précédentes », estime Fitch. En dépit des mois de manifestations et de grève et d’objections à l’Assemblée nationale, le président français Emmanuel Macron a promulgué à la mi-avril le plan de la réforme des retraites.
Sur un an, l’inflation en France a grimpé à 5,9 %, selon une estimation publiée par l’Insee, l'Institut national de la statistique et des études économiques. Après un léger tassement en mars, à 5,7 %, ce rebond est attribué à une nouvelle flambée des prix de l’énergie et des services. Dans ce contexte, les syndicats appellent à de meilleurs salaires pour les travailleurs.
Selon les prévisions de la Banque centrale de France, l'inflation atteindrait son pic au premier semestre 2023 avant de refluer progressivement.
Ceci dit, l'économie française traverse toujours une zone de turbulences. Entre l'inflation élevée et une croissance atone, les ménages et les entreprises restent fébriles. La guerre en Ukraine et le durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) pèsent sur l'activité économique française.
Ainsi, les prix continueront d’augmenter, mais moins vite. En décembre 2023, la hausse devrait être de 4,4 %, sur douze mois, contre 5,1 % en mai. Un ralentissement plus marqué pour les prix de l’énergie, et surtout l’alimentaire, où la hausse devrait se réduire de moitié.
En revanche, l’inflation devrait contaminer le secteur des services, jusqu’à présent plutôt épargnés. Les prix y augmenteraient de 4,2 %. La hausse des prix est une mèche lente dans les services, où les prix sont tirés par la hausse des coûts salariaux, selon l’Insee.
Au total, depuis 2019, l’inflation cumulée a atteint +15 % en France, un niveau comparable à celui de l’Espagne, mais inférieur à Allemagne et aux États-Unis, où elle approche +20 %.
À y regarder de près, le tableau dessiné par les statistiques de l'Insee met en évidence la prudence des ménages dans ce contexte d'inflation toujours élevée.
En effet, l’inflation fait du mal au quotidien des Français, doublement pénalisés par l’augmentation des taux d’intérêt qui ne cessent de galoper depuis des mois et les conséquences de la montée des taux sur la croissance économique du pays.
Quoi qu’il en soit, plusieurs zones d’ombre planent encore sur la santé économique de la France. Malgré les croyances des spécialistes et contre les attentes de l’exécutif, le destin de la croissance de la France pourrait se jouer sur plusieurs tableaux. Le risque le plus important réside dans le fait que le resserrement monétaire opéré par la BCE depuis des mois pourrait faire basculer la France dans une croissance économique proche de zéro.
Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.