Six jours avant l’assassinat de l’ambassadeur russe à Ankara, l’un des chefs adjoints de la CIA, le dénommé Micheal Morell (qui a à deux reprises assumé la direction de la CIA) avait appelé l’administration américaine à riposter aux « ingérences russes dans la présidentielle US ».
L’homme avait exigé que la riposte soit à la fois « très claire » et « très douloureuse pour Poutine ».
Les accusations formulées par les États-Unis contre Moscou qu’ils dénoncent pour sa soi-disant ingérence dans l’élection américaine ne s’appuient toutefois sur aucune preuve matérielle. La soif de vengeance de l’administration US semble s’expliquer surtout par les défaites consécutives de Washington face à l’axe que constitue désormais Moscou avec Téhéran et Damas voire Pékin dans plusieurs dossiers dont celui de la Syrie. Les experts estiment que cette accusation constitue la dernière tentative de « diabolisation de Poutine » par l’équipe Obama.
Morell ne fait pas de mystère de sa volonté de « punir le Kremlin d'avoir osé tenir tête aux États-Unis dans l'ouest de l'Asie » et « d'avoir fait tomber à l'eau les plans américains dans cette région stratégique ». Le 13 décembre dernier, Morell se confiait au think tank Atlantic Council en ces termes : « Notre réponse dissuasive à Moscou devra contenir deux volets : elle doit être claire et sans ambiguïté et ensuite elle doit être douloureuse pour Poutine. Cette réponse, il appartient à Obama de l'infliger aux Russes. J'ai un peu peur que notre réponse n'ait pas lieu à temps puisque nous sommes en période de transition. Je ne veux surtout pas que l'expérience de l'USS Cole et l'explosion qui l'a visé soit reconduite. Le passage du pouvoir entre Bush et Clinton nous a empêchés de riposter à cette attaque. »
Il est difficile d’être à 100 % sûr de l’implication de la CIA dans l’assassinat de Karlov. C’est peut-être réellement l’œuvre des takfiristes en colère, d’autant plus que la piste est bien évoquée en Russie. Frantz Klitsevitch, vice-président du comité pour la Défense au sein du Conseil de la Fédération russe (Chambre haute du Parlement russe), n’écarte pas la possible implication des “services secrets des pays de l’Otan” dans le meurtre de Karlov.
Quoi qu’il en soit, les propos de Morell reflètent un courant de pensée bien puissant au sein des think tank américains. L’assassinat de Karlov s’est déroulé de façon spectaculaire sous les caméras. La victime entretenait des relations personnelles avec Poutine et le président russe a personnellement évoqué son assassinat en ces termes : “je le connaissais personnellement donc je ne parle pas par hasard. Cet assassinat visait très clairement à nuire au processus de l’amélioration des relations russo-turques. Il visait aussi à détruire le processus de paix que soutiennent la Russie, l’Iran et la Turquie en Syrie.”
Cette analyse a été d’ailleurs reprise par le président turc Recep Tayyip Erdogan qui y a vu un coup destiné à faire stopper le processus de normalisation Ankara/Moscou. Que les auteurs de l’assassinat aient visé à nuire à la reprise des relations Ankara/Moscou ou encore à une possible alliance Iran/Russie/Turquie, c’est un fait. Ceci dit, on ne peut ne pas voir dans cet acte un probable message, celui adressé à Poutine : cesse de couper l’herbe sous le pied du géant, même si c’est un géant aux pieds d’argile.