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La stratégie iranienne d'exposition de la censure médiatique sioniste

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Robert Maillard, Paris

En Asie de l'Ouest, le prochain front n'est pas militaire, mais médiatique. En Israël, la réalité du conflit fait l'objet d'un contrôle rigoureux. La censure militaire examine puis filtre la quasi-totalité des informations avant leur diffusion. Les médias sionistes opèrent sous le strict contrôle de la "sécurité nationale". Il en résulte un discours public validé à l'avance. Un discours dans lequel Gaza apparaît davantage comme une cible géographique que comme un territoire où vivent des civils.

Certains faits pourtant établis ne sont jamais mis en avant : la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) jugeant plausible la commission d'un génocide; les rapports de l'ONU sur la famine imminente; l'effondrement documenté des hôpitaux et des quartiers résidentiels. 

Ce mutisme s'avère indispensable à la survie du régime sioniste. Pour autant, il fait désormais l'objet d'une virulente opération iranienne : l'Iran a officiellement entrepris de pénétrer cet espace médiatique étroitement contrôlé. En l'occurrence, l'objectif n'est ni le dialogue ni la diplomatie, mais la création d'une chaîne en hébreu.

La décision a été entérinée par le Conseil suprême de la Révolution culturelle, présidé par le président iranien Massoud Pezechkian avec pour objectif explicite de contrer la propagande du régime sioniste. Et le projet est concret. Il sera géré par l'IRIB, la Radio-télévision de la République islamique d’Iran, qui dispose déjà d'une architecture multilingue performante, dont PressTV en anglais et en français ou encore Al-Alam en arabe et l'ajout de l'hébreu n'est qu'une extension technique.

Alors qu'en Israël, la censure militaire conserve son pouvoir de relecture, l'Iran s'apprête à lancer sa propre arme informationnelle pour percer ce présumé bouclier. En réalité, le « bouclier informationnel israélien » mentionné ci-dessus n'est pas une métaphore. Il s'agit bel et bien d'un dispositif de contrôle légal des contenus avant leur publication. Concrètement, les rédactions sont tenues de soumettre les contenus sensibles à un examen préalable à leur publication.

Reuters a documenté ces procédures. Les journalistes israéliens dépeignent cette censure non pas comme une exception, mais comme une étape systématique de leur travail. Il s'agit d'une mesure restrictive qui peut entraîner le rejet total ou la modification substantielle d'un sujet avant même qu'il ne soit rendu public.

Ce filtrage officialisé est renforcé par la structure même du paysage médiatique sioniste. Dominé par des intérêts politiques et commerciaux bien concentrés, le système médiatique en Israël est naturellement orienté vers les impératifs de sécurité, et ce phénomène s'accélère évidemment en temps de guerre.

Le résultat de ce double mécanisme – censure légale et concentration des médias – est immédiat. L'alignement éditorial se resserre dès que l'armée israélienne est mobilisée. La dissidence devient marginale sur les ondes et le cadre sécuritaire s'impose à tous.

Le classement de Reporters sans frontières place Israël au 101e rang du classement mondial de la liberté de la presse, sur 180 pays. Pour le public sioniste, les conséquences sont profondes. N'ayant accès qu'à cette structure rigide et ultra-militarisée, il n'est que très peu informé de ce qui se passe réellement.

Cela conditionne les perceptions collectives, à savoir ce que les Israéliens entendent, ce dont ils discutent et, en fin de compte, ce qu'ils finissent par croire. Alors que le filtre médiatique opère en interne, à l'étranger, les preuves juridiques et humanitaires sont nombreuses et évidentes. 

La Cour internationale de justice (CIJ) a jugé plausible la commission d'un génocide à Gaza. La rapporteure spéciale de l'ONU, Francesca Albanese, a documenté dans plusieurs rapports une intention et un schéma génocidaire. Le rapporteur spécial Michael Fakhry a, lui, affirmé que la famine est utilisée comme méthode de guerre. Ces positions, consignées noir sur blanc dans le registre juridique mondial, circulent largement dans les médias internationaux. Mais en Israël, elles n'atteignent jamais ce niveau d'exposition. 

Cette mise à distance médiatique s'opère dans un contexte intérieur déjà explosif. L'Israël Democracy Institute révèle des données critiques : La confiance des Israéliens dans le régime s'est effondrée, se situant autour de 20%. Ce n'est pas un chiffre ponctuel. Le recul traverse toutes les institutions sionistes et les clivages sont profonds. Les communautés laïques et harédimes restent polarisées. Les blocs de gauche et de droite demeurent irréconciliables. Et c'est ici que le paradoxe devient clair.

La mobilisation guerrière intervient précisément à un moment où la confiance interne en Israël n'existe plus. Le régime sioniste a donc un besoin vital de ce discours unifié sur la sécurité nationale. C'est la seule chose qui lui reste. Le public reçoit ce récit unique, tandis que les rapports internationaux sur Gaza dévastée par la guerre restent sous silence. Cette disparité structurelle n'est pas un simple détail. Elle prépare le terrain pour la prochaine vague d'informations choquantes.

La chaîne iranienne PressTV hébreu, n'entre donc pas sur un terrain vide. Elle vise une société déjà marquée par la méfiance institutionnelle (avec seulement  20% de confiance), mais soumise à un récit officiel qui prêche l'unité. La censure militaire israélienne continuera à empêcher la diffusion de sujets sensibles, mais avec des chaînes comme celles lancées par l'Iran, pourra-t-elle prétendre réussir pleinement ? Rien n'est moins sûr, puisque les moyens de franchir la barrière sont là.

Il y a d'abord le satellite, moyen technique direct qui ne nécessite pas de licence de diffusion, et qui permet aux antennes paraboliques privées de capter directement et sans censure israélienne les informations diffusées.

Et ce n'est pas seulement une théorie. Al-Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah, a déjà pénétré les ondes israéliennes de cette manière. En 2006, Israël a tenté de brouiller ses émissions, mais n'a jamais réussi à empêcher complètement leur diffusion. La voie est donc ouverte. Mais le deuxième moyen utilisé est désormais beaucoup plus puissant. En ligne, le contrôle ne se fissure pas. Il s'effondre. La distribution via des plateformes et des messageries cryptées permet une diffusion sans passer par un centre de décision unique. Les clips vidéo sur Telegram se propagent en quelques minutes, comme ce fut le cas avec les images inédites des frappes balistiques iraniennes contre Tel-Aviv et Haïfa.

Ainsi le pair-à-pair contourne les goulots d'étranglement. Une URL bloquée reste accessible via un simple VPN.  Dans ces conditions, le système médiatique ne peut plus être scellé.
Les fragments de récits voyagent plus vite que les démentis officiels. Cette porosité technique est le cœur de la stratégie iranienne. Elle amplifie l'écart, déjà immense, entre les images diffusées à l'extérieur d'Israël et le discours interne.

D'un côté, le dossier juridique et humanitaire international, CIJ-ONU, continue de s'épaissir. De l'autre, l'audiovisuel israélien maintient sa présentation centrée sur la soi-disant "défense nationale". L'objectif de la chaîne en hébreu n'est donc pas de convaincre une majorité. L'objectif est de connecter ces deux réalités. Il suffit d'introduire ce registre externe, les faits juridiques, les rapports sur la famine à Gaza, les images de destruction, dans la sphère publique interne, sous censure, pour que la faille s'élargisse. Car dès que des récits concurrents s'installent dans la langue de la maison, revenir à une narration unique devient illusoire.

Les chaînes s'alignent et le public reçoit un récit modifié où les assauts sur Gaza sont nécessaires, la destruction civile est minimisée, la responsabilité est placée sur la population visée. C'est précisément cet édifice que la nouvelle chaîne iranienne, PressTV en hébreu vient bousculer.

Son arme principale n'est pas seulement l'information, c'est l'hébreu. En parlant leur langue, la même langue qui leur sert à justifier la guerre, PressTv hébreu fait tomber la barrière de la traduction. La distance commode qui permet de disqualifier ce qui vient de l'extérieur disparaît.

La fracture créée n'est pas théorique, elle est la conséquence directe de ce contrôle. Et c'est là que réside le véritable paradoxe de cette guerre de l'information. Tant que des éléments centraux, les ordonnances, les rapports sur la famine, l'ampleur réelle des destructions, restent activement hors du récit dominant, l'arrivée d'une voix extérieure en hébreu ne fait qu'exposer plus crûment le décalage. L'Iran a acté la création de cette chaîne avec une finalité assumée, contrer la propagande du régime sioniste. 

L'arme informationnelle de la République islamique d'Iran sera lancée, non pas pour convaincre, mais pour élargir une faille déjà ouverte. Dans ce contexte, la chaîne iranienne n'a pas besoin de convaincre. Le simple contact entre le registre extérieur et l'espace intérieur sioniste livré en hébreu, suffit à transformer la fissure en faille béante...insurmontable. 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV