Le rapport final du Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR) dresse un portrait accablant de la manière dont des dizaines de milliards de dollars, censés être consacrés à la reconstruction de l’Afghanistan, ont été détournés, mal utilisés ou gaspillés.
Selon ce rapport, entre 2002 et 2021, les États-Unis ont alloué environ 148,21 milliards de dollars à la reconstruction afghane. Sur le total de cette somme, près de 88,8 milliards de dollars ont été consacrés à des projets dans le secteur de la sécurité, tandis que le reste a été absorbé par d’autres programmes présentés comme du développement, de l’aide humanitaire, de la gouvernance et du renforcement des institutions.
Le SIGAR estime que 26 à 29,2 milliards de dollars de ces fonds ont été perdus à cause du gaspillage, de la fraude et des abus, des signaux alarmant qui ont précédé l’effondrement du gouvernement afghan et de la rapide prise de pouvoir des talibans en 2021.
Le rapport recense 1327 cas distincts d’usage abusif, de mauvaise gestion ou de corruption directement liés à des programmes financés par les États-Unis.
Parmi les échecs constatés, les investissements majeurs dans les forces de sécurité afghanes ont été compromis par des effectifs gonflés artificiellement, des systèmes de salaires fictifs et une incapacité à entretenir du matériel complexe.
Comme l’a déclaré l’inspecteur général par intérim du SIGAR : « Le gouvernement que nous avons contribué à bâtir […] était essentiellement une entreprise criminelle en col blanc. »
Gene Aloise, inspecteur général par intérim, a déclaré aux journalistes que le projet avait été compromis par « des décisions américaines, prises dès le début et toujours en cours, de s’allier avec des intermédiaires corrompus et auteurs des cas de violation des droits de l’homme ».
Cette stratégie, a-t-il poursuivi, a renforcé les réseaux insurgés et anéanti les espoirs d’une gouvernance stable en Afghanistan.
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De larges équipements et infrastructures ont également été gaspillés. Les États-Unis ont financé des avions, des bases et d’autres actifs militaires, dont beaucoup n’ont jamais été utilisés ou se sont rapidement détériorés après la fin des contrats.
Un exemple concerne des avions de transport achetés pour plusieurs dizaines ou centaines de millions de dollars, qui ont été ensuite mis au rebut ou abandonnés lorsque les systèmes de maintenance se sont effondrés.
Malgré près de 90 milliards de dollars dépensés pour former et équiper l’armée et la police afghanes, les troupes se sont effondrées rapidement après le retrait américain, ajoute le rapport.
Les estimations plus larges des coûts de la guerre dressent un tableau encore plus préoccupant.
Selon le projet Costs of War de l’Université Brown, le coût total pour les États-Unis — incluant les opérations militaires, les soins aux anciens combattants, les intérêts sur les fonds empruntés et autres obligations à long terme — dépasse 2,3 trillions de dollars sur deux décennies.
Selon le jugement final du SIGAR, la mission très médiatisée visant prétendument à construire un Afghanistan stable et démocratique n’a apporté ni stabilité ni démocratie.
En septembre 2025, le président Donald Trump a appelé à reprendre le contrôle de la base aérienne de Bagram en Afghanistan, signalant ainsi sa volonté de rétablir une présence militaire américaine dans un pays, qui a mis en garde contre tout retour de troupes étrangères.
Trump a déclaré que les États-Unis « essayaient de récupérer [Bagram] » et a décrit cette base comme « l’une des plus grandes au monde », soulignant sa piste d’atterrissage stratégique et sa localisation pour contenir la Chine.
Deux jours plus tard, il a publié sur les réseaux sociaux que si l’Afghanistan ne rendait pas la base, « de graves choses vont se produire ».
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Des responsables militaires américains préviennent que la reprise de Bagram nécessiterait « des dizaines de milliers » de soldats, ainsi qu’un soutien logistique et de défense aérienne massif pour maintenir la position, un scénario qui pourrait reproduire les écueils de la longue guerre en Afghanistan.
Les États-Unis avaient envahi l’Afghanistan en octobre 2001 en réponse aux attentats du 11 septembre, alors même qu’aucun ressortissant afghan ne figurait parmi les pirates de l’air.
Durant les vingt années d’occupation américaine, des centaines de milliers d’Afghans ont perdu la vie.
Lorsque Washington et ses alliés ont déployé des troupes en 2001, ils ont prétendu que leur mission était d’éradiquer Al-Qaïda dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis.
Pourtant, deux décennies plus tard, en août 2021, les talibans ont rapidement repris plusieurs capitales provinciales avant d’entrer à Kaboul sans pratiquement aucune résistance.
L’effondrement rapide du gouvernement soutenu par les États-Unis a contraint Washington à une évacuation précipitée et chaotique de diplomates, de citoyens et de partenaires afghans – une scène qui a suscité de vives critiques quant à la mauvaise gestion de son propre retrait par le gouvernement américain.