Depuis octobre 2023, Israël a assassiné au moins 311 journalistes et employés travaillant pour des médias dans la bande de Gaza, selon les estimations des autorités locales, compilées par plusieurs institutions et collectifs. Parmi eux se trouve le site d’archivage Databases for Palestine, dont le travail permet d’estimer à 154 le nombre total de reporters palestiniens tués à leur domicile.
Dans un rapport publié cette semaine, ce collectif d’archivistes bénévoles affirme que la quasi-totalité de ces journalistes ont été tués lors de frappes aériennes nocturnes ou à l’aube, souvent en même temps que plusieurs membres de leur famille. Ces données suggèrent, selon eux, une stratégie délibérée visant à faire taire les témoins directs des attaques israéliennes dans le territoire assiégé.
« La fréquence et la rapidité avec lesquelles Israël tue les journalistes palestiniens — plus que dans toute autre campagne militaire documentée — indiquent une intention claire », souligne le collectif sur son site internet, qui recense méthodiquement les morts depuis octobre 2023.
Le projet, intitulé « Stop Murdering Journalists », compile des données provenant de sources arabophones et anglophones, mais aussi d’un travail de terrain. Chaque fiche répertorie le nom, la date, le lieu et les circonstances de la mort des journalistes, ainsi que leur travail antérieur. Pour chaque journaliste tué chez lui, Databases for Palestine recense en moyenne près de cinq membres de leur famille également tués dans la même frappe, soit un total de 756 civils supplémentaires.
Ces observations recoupent les rapports d’organisations comme le Palestinian Journalists Syndicate, le Shireen Observatory, l’International Federation of Journalists ou encore le collectif Genocide in Gaza, qui ont également recensé des schémas similaires dans les frappes ciblées.
Au sein de cette stratégie, les journalistes ne seraient pas seulement victimes collatérales, mais bien des cibles. « Nous laissons les données parler d’elles-mêmes », affirme le collectif. Le nom de leur site fait d’ailleurs référence directe à cette logique : construire une mémoire numérique de ceux que la guerre a voulu effacer.
Les témoignages de survivants viennent appuyer cette thèse. Le journaliste Anas Al-Sharif, tué dans une tente de presse près de l’hôpital al-Shifa le 10 août, avait publié un message posthume poignant : « Si ces mots vous parviennent, c’est qu’Israël a réussi à me tuer et à faire taire ma voix ».
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Selon plusieurs rapports, dont celui du Palestinian Centre for Human Rights, Israël utiliserait des technologies militaires assistées par intelligence artificielle, comme les programmes Lavender, The Gospel ou Where’s Daddy, pour identifier et localiser en temps réel les cibles, notamment dans leur domicile.
Le dernier, Where’s Daddy, serait conçu pour alerter les opérateurs militaires dès qu’un individu marqué comme cible rentre chez lui — déclenchant ainsi une frappe.
Un ancien agent du service d’espionnage israélien a confié au média "+972 Magazine" : « C’est bien plus facile de bombarder une maison. Le système est conçu pour les chercher dans ces situations ».
Dans ce contexte, les journalistes deviennent des figures symboliques à abattre. Leur proximité avec les populations locales, leur rôle dans la documentation du conflit, leur audience internationale, en font des menaces politiques et médiatiques.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu les a régulièrement qualifiés d’« affiliés au Hamas », une rhétorique également reprise par des institutions occidentales comme le Committee to Protect Journalists (CPJ), critiqué pour avoir relayé cette terminologie dans ses fiches individuelles.
L’enjeu de mémoire est central pour Databases for Palestine. « Ce projet est un mémorial vivant », confie ZO, le fondateur du collectif, cité dans un entretien. « Sans mémoire, il ne peut y avoir de justice ».
Pour rappel, un cessez-le-feu a récemment été instauré à Gaza, sous la médiation du président américain Donald Trump, dans le but de mettre fin aux attaques israéliennes qui dévastent le territoire palestinien assiégé depuis deux ans.
Ce cessez-le-feu est toutefois régulièrement violé par Israël, avec des dizaines d’attaques signalées depuis son entrée en vigueur, tuant plusieurs dizaines de civils palestiniens.
Depuis le 7 octobre 2023, plus de 68 000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza, dont au moins 20 000 enfants, selon les autorités sanitaires locales.
Sur le plan judiciaire, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la Guerre Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Parallèlement, la Cour internationale de Justice poursuit l’examen d’une procédure initiée par l’Afrique du Sud accusant Israël de violer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.