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Les analyses de la rédaction :
1. Un avenir incertain pour la CEDEAO
Le retrait officiel du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), confirmé lors de la réunion du 15 décembre à Abuja, marque un tournant majeur pour l’intégration régionale ouest-africaine. Ces trois nations, désormais regroupées sous l’Alliance des États du Sahel (AES), remettent en question le rôle et l’avenir de la CEDEAO, une organisation longtemps perçue comme le modèle de la coopération régionale.
Agali Welé, vice-président du Bloc pour le Redressement et le Développement du Mali, qualifie l’AES de « déviance positive ». Selon lui, l’apparition de cette alliance crée un précédent inspirant pour d’autres pays de la région. « C’est une situation inattendue qui pousse de nombreux États et communautés à s’interroger sur leur propre appartenance à la CEDEAO », déclare-t-il, anticipant un effet domino dans la sous-région.
L’AES, composée de pays enclavés et dirigés par des gouvernements militaires souverainistes, a cependant fait preuve d’une efficacité impressionnante dans la gestion des crises sécuritaires, en apportant une réponse vigoureuse aux menaces terroristes. Ces succès contrastent fortement avec l’inefficacité perçue de la CEDEAO, accusée d’être plus préoccupée par des impératifs politiques dictés par des puissances étrangères, notamment la France.
La CEDEAO, fondée en 1975 avec pour mission de promouvoir l’intégration économique et politique entre ses membres, traverse une crise existentielle. L’organisation, autrefois respectée pour ses interventions réussies dans des conflits tels que ceux du Liberia ou de la Sierra Leone, voit son image ternie. Les accusations de néocolonialisme et d’ingérence étrangère, portées par l’AES, ont trouvé un écho dans une partie de l’opinion publique ouest-africaine.
Le retrait des trois pays représente une perte significative : une superficie combinée de 2,8 millions de km² et 76 millions d’habitants. Sur le plan économique, ces États, bien que nécessitant des accès aux ports de leurs voisins maritimes, restent des partenaires commerciaux cruciaux. La Côte d’Ivoire, par exemple, maintient des relations économiques étroites avec le Mali, son troisième partenaire commercial mondial.
Malgré les efforts de médiation menés par le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, pour convaincre les dissidents de revenir au sein de l’organisation, l’AES maintient sa position. « Notre retrait est irréversible », ont déclaré les dirigeants de l’alliance, accusant la CEDEAO de servir des intérêts étrangers au détriment des aspirations souveraines de ses membres.
Le retrait de l’AES expose également les limites du modèle de gouvernance de la CEDEAO. Alors que l’organisation insiste sur le retour à l’ordre constitutionnel, elle peine à proposer une alternative crédible aux crises sécuritaires et économiques qui secouent la région. Cette situation alimente la méfiance envers une organisation perçue comme éloignée des réalités locales.
L’émergence de l’AES pourrait bien redéfinir la dynamique régionale. En affirmant leur indépendance et en rejetant les diktats étrangers, les trois États envoient un signal fort à d’autres pays africains. L’idée d’une intégration régionale fondée sur des principes de souveraineté et de coopération égalitaire séduit de plus en plus.
En conclusion, si la CEDEAO reste attachée à son rôle historique, elle devra se réinventer face à cette nouvelle réalité. L’avenir de la coopération régionale repose désormais sur sa capacité à répondre aux aspirations des peuples ouest-africains, au-delà des intérêts des élites et des puissances extérieures.
2. La RDC contre Apple : une démarche nécessaire pour la souveraineté et la justice
La République Démocratique du Congo (RDC) s’illustre sur la scène internationale avec une action juridique audacieuse contre Apple et ses filiales. Cette offensive marque une volonté affirmée de responsabiliser les multinationales exploitant des ressources critiques tout en dénonçant des pratiques illégales et inhumaines liées à l’extraction et au commerce de minerais stratégiques.
En avril dernier, la RDC avait déjà émis une mise en demeure contre Apple, exigeant des explications sur l’origine des minerais 3T (étain, tungstène, tantale) présents dans ses produits. Kinshasa accuse la multinationale de s’approvisionner en minerais issus de sources illégales, extraits dans des conditions souvent assimilées à de l’esclavage moderne et utilisés pour financer des groupes armés. L’absence de réponse concrète de la part d’Apple a conduit à une escalade, avec le dépôt de plaintes en France et en Belgique pour des accusations graves, notamment « dissimulation de crimes de guerre » et « pratiques commerciales trompeuses ».
Ces démarches judiciaires rappellent que la RDC reste un terrain de prédation économique, un héritage du colonialisme. La Belgique, en particulier, est citée pour son rôle historique dans le pillage des ressources congolaises, débuté sous le règne de Léopold II. Les avocats congolais soulignent que cette responsabilité historique impose des devoirs spécifiques aux pays européens dans la lutte contre le trafic des « minerais de sang ».
Apple n’est cependant pas une cible isolée. Si elle est emblématique par sa puissance financière et sa communication écoresponsable, d’autres multinationales pourraient également faire l’objet de poursuites. Cela met en lumière un problème systémique dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, où la recherche du profit prévaut souvent sur l’éthique.
La RDC est un acteur clé sur le marché mondial des minerais stratégiques. Leader de la production de cobalt et acteur majeur pour le coltan, elle est essentielle à l’industrie électronique. Pourtant, une partie significative de sa production échappe à son contrôle, pillée et exportée illégalement, souvent via des pays voisins comme le Rwanda. Ce commerce alimente les groupes rebelles, notamment le M23, qui génèrent des revenus substantiels grâce à des taxes prélevées sur les activités minières dans les zones qu’ils contrôlent.
Face à cette situation, l’action de Kinshasa s’inscrit dans une quête de justice économique et de souveraineté nationale. En exigeant des comptes aux grandes entreprises, le gouvernement congolais cherche à restaurer sa maîtrise sur ses ressources naturelles et à garantir que leur exploitation bénéficie directement à sa population.
Cette affaire soulève des questions cruciales sur la gouvernance mondiale des ressources naturelles. Alors que des engagements de traçabilité et de transparence sont souvent affichés par les multinationales, la réalité montre une complaisance vis-à-vis des pratiques illégales. La responsabilisation des entreprises est essentielle pour éviter que les minerais de conflit ne continuent de financer des violences et d’alimenter des cycles de pauvreté.
En prenant des mesures juridiques contre Apple, la RDC montre la voie à d’autres pays producteurs. Il est temps que l’Afrique exige des partenariats équitables et durables, en mettant fin à des décennies d’exploitation unilatérale. Ce combat n’est pas seulement celui de la RDC, mais de tout un continent qui aspire à transformer ses richesses naturelles en leviers de développement et de prospérité pour ses peuples.
3. « Le premier à mettre pied sur le continent américain fut un Africain »
Le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, s’est illustré à La Havane, ce 9 décembre, lors de la Conférence internationale « Cuba 2024 », marquant la fin de la Décennie internationale des Nations unies consacrée aux personnes d’ascendance africaine. Invité d’honneur de cet événement, il a multiplié les échanges avec de hauts responsables de l’exécutif cubain, tout en portant un discours panafricaniste et révolutionnaire.
Durant son séjour, Robert Dussey a rencontré trois membres du gouvernement cubain, confirmant l’approfondissement des relations entre le Togo et Cuba. Il a également rendu hommage au fondateur du parti révolutionnaire cubain en déposant une gerbe au pied d’un monument emblématique. Ces actes symboliques traduisent une volonté de renforcer les liens historiques et culturels entre l’Afrique et les Amériques, tout en mettant en lumière l’héritage africain dans le Nouveau Monde.
« Ce n’est pas Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique »
Lors de son intervention à La Havane, Robert Dussey a tenu à dénoncer les falsifications historiques. Affirmant qu’un Africain fut « le premier à mettre pied sur le continent américain », il a réitéré que l’histoire mondiale a été largement écrite sous le prisme européen. « Ce n’est pas Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique. Non ! Non ! Non ! », a-t-il clamé, dans une critique à peine voilée des récits hégémoniques.
Ces propos s’inscrivent dans une dynamique de valorisation de l’héritage africain à l’échelle globale, tout en évoquant le rôle des Afrodescendants dans la construction des Amériques. Il a également pointé du doigt la façon dont l’Occident a falsifié l’histoire pour rabaisser l’Afrique, occultant son riche passé. Cette démarche s’inscrit en réaction à des discours comme celui prononcé par Nicolas Sarkozy en août 2007 à Dakar, dans lequel l’ancien président français affirmait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Ce discours, truffé de clichés, a choqué et contribué à dégrader l’image de l’Afrique.
Le positionnement de Robert Dussey à Cuba résonne avec le discours révolutionnaire porté par les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES). Le discours de son ministre des Affaires étrangères à La Havane marque un alignement progressif avec les aspirations néo-souverainistes et panafricaines.
Alors qu’il prépare activement le 9e Congrès panafricain, Robert Dussey entend redéfinir les bases d’une Afrique forte et unie. Ses paroles à Cuba révèlent une ambition de repenser les relations internationales en plaçant l’Afrique et sa diaspora au centre des débats.
En s’adressant aux peuples afrodescendants, il a appelé à une « reconquête de la dignité historique », rappelant l’importance de se défaire des récits coloniaux. Une posture qui, tout en renforçant les liens entre l’Afrique et ses diasporas, ouvre la voie à une coopération Sud-Sud plus affirmée. Pour rappel, Robert Dussey avait effectué une visite officielle en Iran. Cette visite s’inscrit dans une stratégie plus large de diversification des partenariats internationaux du Togo, visant à renforcer la coopération Sud-Sud. Lors de ses échanges avec les responsables iraniens, le ministre togolais a exploré des opportunités de collaboration dans des domaines clés comme l’éducation, l’énergie et la technologie. Cette initiative souligne la volonté de Lomé de développer des relations avec des nations partageant des aspirations similaires à l’autonomie et à la souveraineté.
Les propos de Robert Dussey à La Havane s’inscrivent dans un cadre plus large de redéfinition de l’identité africaine sur la scène internationale. En revisitant l’histoire et en soutenant les combats afrodescendants, le ministre togolais incarne un panafricanisme renouvelé. Ce discours, porteur d’espoir, pourrait bien renforcer la dynamique de souveraineté en cours sur le continent africain.