Par Ghorban-Ali Khodabandeh
Depuis plusieurs semaines, une bonne partie de journalistes et politiques français se sont lancés dans une course pour marquer leur allégeance au régime infanticide et criminel israélien. Dernière en date, 16 sénateurs français affiliés pour la plupart au groupe politique LR, ont déposé sous l'égide de Stéphane Le Rudulier, sénateur LR des Bouches-du-Rhône, une proposition de loi visant à « pénaliser l’antisionisme ».
Par voie de plusieurs publications sur les réseaux sociaux, le sénateur LR (Les Républicains) Stéphane Le Rudulier a annoncé qu'il a déposé avec 15 de ses confrères le texte visant à ce que « l'antisionisme soit tout autant interdit et condamné que l'antisémitisme », estimant que « l’explosion de l’antisémitisme se nourrit de la haine d’Israël, faux nez de la haine des Juifs », l'élu des Bouches-du-Rhône assimilant l'antisionisme à l'antisémitisme.
La proposition de loi prévoit notamment de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende « ceux qui auront contesté l’existence de l’État d’Israël », de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, « l’injure commise envers l’État d’Israël », et de cinq ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende « ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué la haine ou la violence à l’égard de l’État d’Israël ».
Une stratégie de confusion à des fins politiques
Depuis plusieurs années, les discours qui entretiennent sciemment l’amalgame de l’antisionisme et de l’antisémitisme sont en recrudescence en France. Pour rappel, alors que les atrocités israéliennes se poursuivent et s’intensifient depuis plusieurs semaines contre la population de Gaza, la question de « l'apologie du terrorisme » fait la Une des journaux et de l'agenda politique en France.
Interrogé sur les diverses poursuites judiciaires engagées notamment par le gouvernement contre des organisations ou personnes pour « apologie du terrorisme», le député Gauche démocrate et républicaine (GDR), Pierre Dharréville a déclaré : « Ce qu'on constate de la part du gouvernement, c'est, de toute manière, une façon de mener le débat politique qui est problématique, et une volonté de fermer les espaces d'expression de manière générale ».
Et d'ajouter : « Les plaintes répétées de Gérald Darmanin s'inscrivent dans cette démarche. Je ne peux que constater cela et le déplorer ».
Interrogé le mois dernier, le président d'honneur de l'Union juive française pour la Paix (UJFP), Richard Wagman, a dénoncé un amalgame volontaire de l'Exécutif français entre l'antisémitisme et l'antisionisme.
« Toute personne qui critique la politique d'Israël est, d'emblée, taxée d'antisionisme, par ces gens-là, ce qui est ridicule », a déclaré Richard Wagman.
Indiquant que les deux notions d’antisémitisme et d’antisionisme n'ont rien à voir l'une avec l'autre, Richard Wagman a estimé que « mélanger les deux sciemment, comme le fait Élisabeth Borne, Emmanuel Macron et les autres, y compris beaucoup d'anciens dirigeants du Parti socialiste, ce n'est franchement pas à la hauteur et ça n'arrange pas les choses pour clarifier les enjeux pour les Français et pour lutter contre les discriminations ici dans l'Hexagone : c'est de brouiller toutes les cartes ».
« Ils savent de quoi ils parlent. Mais c'est des mensonges, c'est-à-dire qu'ils profitent de la confusion et des amalgames pour des fins de promotion politique, ce qui est très sournois et pas du tout à la hauteur, pas du tout en leur honneur », a estimé le président d'honneur de l'UJFP.
Le discours gouvernemental vise à criminaliser tout soutien à la cause palestinienne
La rhétorique du gouvernement français s’inscrit en effet dans le cadre d’une vaste offensive pour criminaliser toute position de soutien, même partielle, des Palestiniens et attaquer le droit des citoyens français à faire de la politique.
Il en est de même pour la campagne de calomnie qui s’est lancée contre la France insoumise. À rappeler, le groupe parlementaire avait dénoncé dans un communiqué « l’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Qods Est » et expliqué son refus de reconnaître le Hamas comme une organisation terroriste.
En d’autres termes, parce que la France Insoumise ne découpe pas l’offensive palestinienne dirigée par le Hamas du contexte dans laquelle elle se situe, à savoir 75 ans de colonisation de l’État d’Israël sur les Palestiniens, elle se retrouve désormais accusée de « complicité de terrorisme » et d’antisémitisme. Quand bien même la position de la France Insoumise se limite à réclamer « une paix juste et durable » par l’interpellation des institutions internationales comme l’ONU.
Difficile alors de ne pas voir ce qui motive la campagne médiatique et politique contre LFI et la reprise de l’amalgame habituel entre antisionisme et antisémitisme: une volonté de criminaliser tout soutien, même partiel, à la cause palestinienne.
Aussi, les attaques actuelles contre la France Insoumise s’inscrivent dans une offensive plus large contre toutes les organisations qui expriment une solidarité en direction du peuple palestinien, ce dont témoignent l’annonce par le ministre de l’Intérieur du lancement d’une enquête contre le Nouveau Parti Anticapitaliste pour « apologie du terrorisme », mais aussi les menaces de dissolution à l’encontre d’autres organisations comme le Collectif Palestine Vaincra, Révolution Permanente, l’Union Juive Française pour la paix, ou encore les interdictions systématiques de manifestations et rassemblements en soutien à la Palestine.
Les rédacteurs de la proposition de loi déplorent une résolution non contraignante adoptée à l’Assemblée nationale en décembre 2019, élargissant la définition de l'antisémitisme à l'antisionisme. Un texte qui, selon eux, « relève du symbole plus que d'un arsenal législatif ». Texte qui avait rencontré une forte opposition, au sein même de la majorité, des parlementaires craignant qu’il n’empêche toute critique de la politique d'Israël.
Pénalisation de l’antisionisme, une façon de couvrir les crimes flagrants et indéniables d’Israël
En France comme en Occident, les pro-israéliens adoptent de nouveaux éléments de langage pour défendre Israël, comme les tentatives d’assimiler l’antisionisme et de l’antisémitisme.
Les nouveaux éléments de langage sont destinés à la fois à faire taire les voix discordantes, c’est-à-dire celles qui continuent à croire qu’il y a une injustice historique en Palestine qu’il faut réparer, et à couvrir les crimes de l’armée israélienne, de plus en plus flagrants et indéniables.
Il s’agit plutôt d’un élément de langage de plus en plus employé par les soutiens d’Israël, qui est d’assimiler toute critique du gouvernement fasciste et raciste de Benjamin Netanyahu et même de ses crimes à de l’antisémitisme.
Il s’agit aussi de fermer les yeux sur la véritable cause qui a amené à cette situation, soit la politique de colonisation des gouvernements israéliens successifs, particulièrement l’actuel cabinet du régime et le silence complice de l’Occident.
Bien entendu, le projet de loi n’explique pas où va se situer la frontière entre l’antisionisme à réprimer et la critique de la politique du régime israélien. À moins que son objectif soit de mettre la France et ses dirigeants au-dessus de toute remise en cause de la politique belliqueuse des gouvernements israéliens.
Suite à l’opération du Hamas samedi 7 octobre et aux représailles militaires massives déclenchées par l’entité israélienne dans la foulée, de nombreux appels à se rassembler en soutien au peuple palestinien opprimé, à travers toutes les villes françaises, ont été diffusés.
Le gouvernement français et son ministre de l’Intérieur Darmanin, toujours adepte de la surenchère sécuritaire et autoritaire, des interdictions et des dissolutions, confondant antisionisme et antisémitisme, grand ami du régime raciste et colonial israélien, ont décidé en réaction d’interdire plusieurs de ces rassemblements.
Face à l’ampleur de la solidarité internationale avec les Palestiniens en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique, les partisans de Benjamin Netanyahu tentent de trouver la parade à chaque fois, pour éviter de débattre sur les vraies raisons de l’opération du Hamas et de la guerre permanente que mène l’occupation israélienne contre les Palestiniens, à savoir la colonisation et la répression.
Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.