Plus de 40 jours après l'assassinat puis le dépeçage en bonne et due forme du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi et ce, sur l'ordre direct de Mohammed Ben Salmane, son ami Donald Trump a émis mardi 20 novembre un communiqué : Ankara avait tout fait pour que le texte reflète, peut-être pas toute, mais néanmoins une partie de la réalité, force est de constater que ses efforts ont été inutiles. Le message du président US a été un ridicule réquisitoire contre l'Iran pour disculper "l'assassin saoudien".
Mêmes les sénateurs US pourtant connus pour leur aversion systématique envers l'Iran ont regretté que la Maison Blanche soit réduite au rang d'un simple bureau de presse au service de Ben Salmane. À croire M. Trump, c'est donc l'Iran qui a déclenché la guerre contre le Yémen, une guerre que le gentil MBS, avec à son actif le meurtre de près de 20000 civils yéménites, serait prêt à finir, si l'Iran le lui laissait le choix. M. Trump se plaint d'avoir à vivre dans un monde "méchant et rude" mais affirme ne pas être prêt à renoncer au génocide des Yéménites, puisque ce génocide planifié par la CIA et appliqué par le valet saoudien "rapporte de l'argent aux caisses de l'État américain" et "crée des emplois". Bref pour le président des États-Unis, Khashoggi, «ennemi de l’État» et «un membre des Frères musulmans» méritait même sa mort, fût-ce, à coup de scie électrique.
La réception du communiqué de Trump en Iran n'a pas provoqué de grands émois, les Iraniens s'étant habitué à la rhétorique nauséabonde du locataire de la Maison Blanche. Le ministre iranien des Affaires étrangères n'a pas pu se garder toutefois de qualifier le communiqué de Trump sur l’assassinat du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, de « honteux ».
« M. Trump consacre étonnamment le premier paragraphe de sa déclaration honteuse sur les atrocités saoudiennes, à accuser à tout va l’Iran de toutes sortes de méfaits », a dit Mohammad Javad Zarif, dans un tweet publié le 20 novembre .
Mr. Trump bizarrely devotes the FIRST paragraph of his shameful statement on Saudi atrocities to accuse IRAN of every sort of malfeasance he can think of. Perhaps we’re also responsible for the California fires, because we didn’t help rake the forests— just like the Finns do?
— Javad Zarif (@JZarif) November 20, 2018
M. Zarif a évoqué aussi les déclarations de Trump, citant en exemple la Finlande dans la prévention des feux de forêts grâce au ratissage des sous-bois, propos "surprenantes et consternantes pour ce pays du nord-est de l'Europe" et par la suite démentis par le président finlandais, Sauli Niinisto qui avait confié au journal Ilta-Sanomat ne pas se rappeler d'avoir parlé de ratissage des sous-bois lors de sa rencontre avec le président américain.
« Peut-être sommes-nous (Iran) également responsables des incendies en Californie, car nous n’avons pas aidé à ratisser les forêts, comme le font les Finlandais ? », ironise M. Zarif en allusion au communiqué de Trump où il justifie l'assassinat de Khashoggi, allant jusqu'à y voir un acte bien justifié.
Mais quelle mouche a-t-elle piqué Donald Trump pour sortir des sottises pareilles?
Après tout, des conseillers auraient du rappeler au président américain qu'un dossier aussi éminemment délicat qu'est l'affaire Khashoggi n'est pas un terrain propice pour un règlement de compte anti-Iran, sans prendre le risque de se ridiculiser aux yeux du monde entier. Quelques heures avant que Trump publie son communiqué, le journal turc Yeni Safak avait pourtant anticipé l'événement : "Bien que toutes les preuves et tous les témoignages vont à l'encontre de Ben Salmane, le prince héritier a placé tous ses espoirs du côté de Donald Trump. MBS a évoqué lundi les "dangers que représentent l’Iran pour le monde", et appelé la Maison Blanche à en tenir compte. À vrai dire, il voulait montrer le chemin à Trump, chemin que le président US a emprunté aussitôt sans craindre de se ridiculiser auprès de l'opinion internationale.
Même cette erreur colossale de stratégie n'a pas échappé aux Américains. Le sénateur républicain du Tennessee Bob Corker, critique de Trump, a ironisé mardi sur Twitter: «Je ne pensais pas voir le jour où la Maison Blanche travaillerait clandestinement comme agence de relations publiques pour le prince héritier d'Arabie saoudite». Corker, actuel président de la commission des affaires étrangères du Sénat, affirme que le Congrès «étudiera tous les moyens à [sa] disposition pour répondre, y compris par la loi, pour déterminer le rôle de MBS».
C'est dire que l'affaire Khashoggi est loin d'être close et que le stratagème anti-iranien de Ben Salmane est incapable de changer la donne. Dans la soirée, Bob Corker et le sénateur démocrate Bob Menendez ont pour la deuxième fois envoyé une lettre à Trump déclenchant la loi Magnitsky, qui oblige la Maison Blanche à ouvrir une enquête sur les violations des droits de l’homme à l'étranger, à la demande de la commission sénatoriale des affaires étrangères. Pour Menendez, «nous ne pouvons pas exagérer les bénéfices issus des ventes d'armes ou d'autres accords commerciaux pour diriger notre politique étrangère, au détriment d'intérêts plus larges, comme les droits humains et la défense de valeurs qui nous garantissent la sécurité à long terme».