Leslie Varenne, co-fondatrice et directrice de l’IVERIS, a rédigé un article pour défendre le point de vue iranien concernant les sanctions américaines.
Si Emmanuel Macron se rendait en Iran, notamment à Abadan et Khorramchahr, il mesurerait à quel point ses propositions pour « aménager » l’accord sur le nucléaire iranien (PGAC) sont irréalistes.
Ces deux villes situées à la frontière irano-irakienne ont été en première ligne de la tentative d’invasion de l’Iran par l’Irak en 1980.
Les Iraniens n’ont pas oublié que Damas a été leur seul allié lors de ce conflit et qu’il leur avait permis de remporter leur premier succès stratégique, dès 1981, lors de l’opération H3.
Ce conflit gagné seul contre toutes les grandes puissances, même l’URSS s’étant rangée dans le camp de Saddam Hussein, a été le ciment de la jeune République islamique. Trente ans, ce n’est pas un temps long dans l’histoire d’une nation. Demander aux Iraniens, comme le fait le président français, de surseoir à leur programme de missiles balistiques et de rester démunis en cas d’agression, est une hérésie. Ils ne l’accepteront jamais. Leur demander d’abandonner leurs alliés dans la région, d’effacer l’histoire, et de quitter la Syrie est tout aussi vain.
Ce qui frappe en Iran, c’est combien la perception de l’actualité est différente de celle qui prévaut en Occident et combien le peuple a confiance dans sa capacité de résistance face à l’adversité.
Si les tensions géopolitiques ne sont pas niées, la dangerosité des attaques contre leur pays est relativisée.
Dans la ville sainte de Machhad, aucune des personnes rencontrées en marge d’un colloque sur la Palestine ne semble céder à l’anxiété, malgré les rhétoriques guerrières et souvent outrancières du président américain, de son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, ou du secrétaire d’État, Mike Pompeo.
Interrogée sur l’argument, maintes fois repris à Washington, qui consiste à dire que des sanctions dures provoqueront des réactions en chaîne — crise économique, colère de la population, changement de régime — une étudiante en français répond : « J’ai lu ça, mais j’ai trouvé ça bizarre… Cela affecte notre quotidien, mais les Iraniens sont inventifs, créatifs, ils cherchent toujours de nouvelles solutions, de nouveaux moyens. » Il est vrai qu’après 40 ans sous un régime de sanctions, ils ont appris à déployer des trésors d’ingéniosité.
Jamais dans l’histoire et les exemples sont nombreux — Libye, Irak, Corée du Nord, Syrie, Russie —, ces mesures coercitives n’ont engendré les effets escomptés par ceux qui les mettent en place. Mieux, elles produisent des résultats opposés. Pour Saadallah Zarei, directeur de l’institut d’études stratégiques Noor, « la décision de Donald Trump est une bonne action pour unir les Iraniens. Nous pouvons passer cette période sans grand problème et nous gagnerons par d’autres voies. Notre situation économique n’est pas si faible. Les USA ont exercé beaucoup de pressions sur des pays avec lesquels nous avons des relations commerciales, comme l’Irak, la Turquie, le Pakistan, mais ces pays nous aident beaucoup, nous avons 12 milliards de dollars d’échanges économiques avec l’Irak ».
L’embargo américain, en place depuis 1980, n’a jamais été levé concrètement. Pour diverses raisons (techniques, frilosité des acteurs avant et après l’élection américaine, notamment des banques), les échanges interbancaires avec l’Occident n’ont jamais été véritablement rétablis et les projets d’investissements étrangers n’ont pas eu le temps de se concrétiser.
Si cet accord a eu un effet, il est uniquement d’ordre psychologique. Un interprète résume assez justement ce sentiment : « Le PGAC a créé de faux espoirs dans les cœurs, non seulement sur le futur économique et politique mais aussi d’un point de vue sentimental : l’espoir d’une relation apaisée entre l’Occident et l’Iran. » Un de ses amis renchérit : « Nous savons très bien qu’ils veulent nous dominer et faire de nous une vache à lait comme l’Arabie Saoudite, mais nous ne l’accepterons pas. Depuis la Révolution islamique, nous n’avons jamais eu de problème pour vendre le pétrole et si personne ne l’achète, nous trouverons des solutions. Justement, nous cherchons la diversification de notre économie ! » Qu’attendez-vous de l’Europe ? « Rien. Le drapeau américain flotte sur leurs capitales. »
Les Iraniens sont connus pour être d’excellents prévisionnistes. Nul doute qu’à Téhéran, tous les scénarios des réponses européennes à la décision américaine ont été anticipés. Ils sont également réputés pour être imprévisibles, ce qui pose problème à ceux qui s’auto-désignent comme leurs adversaires.
Leslie Varenne
Le 27 mai 2018
Source : comite-valmy.org