Par Shabbir Rizvi
Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgu s'est rendu à Téhéran le mardi 19 septembre. Il a tenu des réunions avec des responsables militaires iraniens de haut rang notamment le chef d'état-major des forces interarmées, le général de division Mohammad Bagheri, et le ministre de la Défense, le général de brigade Mohammad-Reza Ashtiani.
M. Choïgou s'est rendu à Téhéran à la tête d'une délégation militaire de haut rang à l'invitation officielle du chef d'état-major des forces armées iraniennes.
L’objectif de cette visite était de mener des échanges de vue sur la « coopération en matière de défense » entre les deux alliés de longue date. Les deux pays ont toujours été la cible des agressions occidentales : des opérations de sabotage aux sanctions économiques destinées à paralyser leurs systèmes économiques.
Malgré vents et marées, l'Iran et la Russie ont résisté et ont mené des politiques indépendantes en renforçant leurs coopérations bilatérales et leurs économies.
M. Choïgou s'est dit satisfait de ses rencontres avec ses homologues iraniens.
« Le durcissement des sanctions contre la Russie et l'Iran s'est avéré fructueuse, dans la mesure où leur partenariat a atteint des sommets », a-t-il salué cité par les médias iraniens locaux.
La capacité de la République islamique à agir de manière indépendante et à créer une forte économie nationale malgré l’ingérence occidentale est très importante. Elle a récemment adhéré aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), ainsi qu'à l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai).
Naturellement, il est important pour l’Iran de réfléchir aux affaires de sécurité afin de protéger ses intérêts au sein de ces organisations, et la Russie est un allié naturel dans ce contexte puisqu’elle est déjà membre des deux blocs.
Dans un ordre mondial multilatéral croissant, que beaucoup qualifient de « multipolarité » ainsi que de « fin de l’américanisme » (voir le discours historique du président Ebrahim Raïssi), la coopération basée sur la confiance et les intérêts mutuels s’avère importante.
Cependant, les vestiges de l’ordre mondial unipolaire dirigé par les États-Unis, qui sont en déclin, tenteront de semer le désordre tout en luttant contre cette nouvelle réalité façonnée par les nouvelles puissances émergentes.
Les projets au sein des pays BRICS ainsi que des pays de l’OCS ont notamment fait l’objet de sabotages soutenus par l’Occident. Le plus important a été la destruction du gazoduc Nord Stream-2, qui a eu un impact sur la capacité de la Russie à livrer du gaz vers l’Europe occidentale.
D’autres exemples sont à évoquer : les attaques terroristes perpétrées par le Parti islamique du Turkestan (PIT) sur le corridor économique Chine-Pakistan. Ces terroristes figuraient autrefois sur la liste noire américaine mais ont été retirés car ils jouent un rôle dans la stratégie américaine de déstabilisation ciblée des pays.
Le recours par les États-Unis à des stratagèmes pour mener des actes de sabotage et détruire des économies constitue une menace sérieuse pour le développement et la stabilité de la région, et l’Iran a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises quant aux agissements par procuration des États-Unis.
L'intégration de l'Iran dans les BRICS et l'OCS indique qu'il devra prendre des mesures significatives pour renforcer la sécurité, alors que ce pays lui-même se lance dans des projets spécifiques destinés à faciliter le commerce dans la région - notamment un chemin de fer reliant l'Irak à la Syrie et la construction d'un important gazoduc reliant l'Iran et le Pakistan.
Ces projets contribueront à faciliter l’indépendance régionale des pays et à les pousser à moins dépendre du commerce avec les pays occidentaux. Alors que l’Iran rejoint deux alliances économiques qui vont façonner le nouvel ordre mondial, ce qui peut entraver des projets régionaux soutenue par l’Occident.
Bien que les BRICS et l’OCS aient créé des alliances économiques, pour assurer leur succès, la défense de leurs projets doit être prise en compte.
La rencontre entre M. Choïgou et le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, Ali-Akbar Ahmadian, a été un moment crucial pour discuter sérieusement de la menace imminente de l’Occident. Les deux parties ont souligné que le renforcement de la coopération régionale pour parvenir à la sécurité collective était « l’un des moyens les plus efficaces de mettre fin à l’ingérence étrangère dans la région ».
Il s’agit d’une équation particulièrement importante : l’ingérence étrangère a été soit celle des États-Unis et de leurs alliés ouvertement, soit celle de diverses forces mandatées secrètement.
Alors que l’Iran et la Russie renforcent la réalité d’une « Eurasie » unifiée, il serait dans l’intérêt des deux pays de garantir leurs intérêts régionaux – et d’écarter complètement la menace des opérations de sabotage de l’Occident, comme le laisse entendre la dernière partie du communiqué conjoint russo-iranien.
Une compréhension mutuelle entre des pays rivaux de la région est une première étape sur laquelle on ne peut pas fermer les yeux.
Le soutien incommensurable de l’Iran et de la Russie à la Syrie peut déjà prouver l’importance de comprendre cette équation. Un effort unifié pour expulser les envahisseurs occidentaux et leurs armées par procuration a conduit à une victoire durement gagnée pour le président syrien Bachar al-Assad, au point que la Ligue arabe et d’autres pays qui ont autrefois tourné le dos à la Syrie sont maintenant contraints d’accepter la réalité. La Syrie est là pour rester.
L’Iran a également acquis récemment une grande expérience dans la mise en œuvre des opérations antiterroristes à ses frontières. Il a poursuivi l’éradication des cellules dormantes de Daech à ses frontières – sans parler de ses années d’expérience dans la lutte antiterroriste en Irak et en Syrie.
Le dimanche 24 septembre, les services de Renseignement iraniens ont déjoué une tentative de 30 attentats terroristes simultanés dans des zones très peuplées à Téhéran. 28 membres d'une cellule terroriste affilié à Daech ont été arrêtés, a annoncé dans un communiqué le ministère iranien du Renseignement.
L’Iran est bien résolu à en finir avec les terroristes. Les services de renseignement iraniens ont démantelé les cellules terroristes associés à des organisations terroristes telles que l’Organisation des modjahedin-e-Khalgh (OMK), des séparatistes kurdes et du Mossad.
La Russie serait très intéressée par les approches antiterroristes de l’Iran – et vice versa. La Russie est la cible de complots terroristes internes alors que ses opérations militaires en Ukraine se poursuivent, notamment des attentats à la bombe à Moscou et des attaques de drones sur des ponts civils.
Un « partage de compétences » et une ligne de communication ouverte entre les forces de renseignement des deux pays pourraient aboutir à des routes et corridors commerciaux sûrs, ainsi qu'à l'élimination des forces hostiles.
En outre, la Russie a montré son intérêt à se procurer des armes iraniennes, en particulier les nouvelles technologies militaires qui comprennent les drones, les missiles et les systèmes radar.
Lors de son séjour à Téhéran, M. Choïgou a passé en revue certains des derniers équipements militaires iraniens, également exposés notamment dans des expositions à Moscou.
Il va de soi que le matériel militaire iranien change la donne. Le programme de drones iranien, en particulier les systèmes Shahed et Mohajer et le missile hypersonique iranien Fattah, sont tellement recherchés que la demande dépasse la production.
La Russie, la Chine et l’Iran font partie des pays dont des missiles se déplacent à des vitesses à Mach 5. L’Iran a rejoint le club cette année, avec une démonstration extrêmement réussie du missile Fattah.
La Russie aurait utilisé ses propres missiles hypersoniques Kh-47M2 « Kinzhal » pour frapper des cibles en Ukraine. Bien que l’Iran soit neutre à l’égard de l’opération militaire russe, proposant le dialogue plutôt que l’escalade, il pourrait potentiellement travailler avec la Russie pour fournir des missiles Fattah à des fins défensives.
À ce propos, la Russie se trouve également dans une situation unique en raison de ses opérations militaires en Ukraine. Des milliards de dollars d’équipements de l’OTAN ont été fournis à l’Ukraine afin de stopper l’avancée russe.
La Russie a non seulement détruit bon nombre de ces armes très sophistiquées, mais a également saisi des équipements intacts, notamment des chars, des lance-roquettes, des MLRS (Multiple Launch Rocket Systems), et bien plus encore.
Être capable de procéder à l'ingénierie inverse des armes de l'OTAN et d'en exploiter les points sensibles est une information très précieuse qui pourrait intéresser l'Iran, d'autant plus que ces armes sont souvent utilisées par des forces hostiles à l'Iran.
Si l’objectif de la réunion de Téhéran est de dissuader l’Occident, alors un transfert sérieux des informations obtenues sur les armes de l’OTAN vers l’Iran serait un enjeu majeur.
Il ne s’agit que de la première réunion officielle sur la défense depuis l’adhésion de l’Iran aux BRICS. Nous pouvons également nous attendre à davantage d’exercices militaires conjoints entre l’Iran et la Russie – similaires aux exercices organisés dans la mer d’Oman entre les deux pays et la Chine plus tôt cette année.
Enfin, on peut également s’attendre à ce que l’Occident ne quitte pas la région en douceur, même si les chances lui sont de plus en plus défavorables.
Quoi qu’il en soit, les nouvelles alliances – formées par la coopération économique mutuelle – peuvent réinstaller la stabilité et la prospérité sur la région « eurasienne ».
Et pour reprendre les termes du président Raïssi, c’est bien la fin de « l’américanisation ».
Shabbir Rizvi est un analyste politique basé à Chicago qui se concentre sur la sécurité intérieure et la politique étrangère des États-Unis.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)