Par Hamid Javadi
Les puissances européennes sont restées largement silencieuses, et dans le cas de l’Allemagne, ont même ouvertement soutenu le lancement par Israël et les États-Unis d’une agression militaire contre l’Iran, notamment des attaques contre des installations nucléaires, faisant dérailler les efforts diplomatiques entre Téhéran et Washington.
Elles se préparent désormais à prendre une mesure tout aussi préjudiciable, qui, pour Téhéran, équivaudrait à une action militaire contre le pays.
La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, signataires initiaux du Plan global d’action commun (PGAC), communément appelé accord sur le nucléaire iranien, déclarent qu’ils invoqueront le « snapback » prévu par cet accord, aujourd’hui largement caduc, pour rétablir toutes les sanctions de l’ONU contre l’Iran d’ici fin août au plus tard, si aucun progrès tangible n’est réalisé vers la conclusion d’un nouvel accord.
« Sans un engagement ferme, tangible et vérifiable de la part de l’Iran, nous le déclencherons au plus tard fin août », a déclaré mardi à Bruxelles le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.
Constitués ensemble sous le nom d’E3, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne disposent d’une fenêtre d’opportunité limitée pour déclencher le mécanisme de retour automatique des sanctions, l’accord expirant officiellement le 18 octobre.
Téhéran affirme que la troïka européenne manque d’« autorité morale et juridique » pour déclencher le mécanisme de règlement des différends prévu par un accord qu’elle a violé à plusieurs reprises.
Téhéran prévient également que cela mettrait fin à l’engagement de l’Europe dans le dossier nucléaire iranien.
Le déclenchement du Snapback ne rétablira pas automatiquement toutes les sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU contre l’Iran, levées en janvier 2016 lors de la mise en œuvre du PGAC.
Il s’agit d’un processus complexe, en plusieurs étapes, qui peut prendre jusqu’à 65 jours.
Par conséquent, s’ils décident d’emprunter cette voie, ils devront accélérer le processus avant que la fenêtre d’opportunité ne se ferme définitivement, après quoi la réimposition de sanctions au Conseil de sécurité de l’ONU serait pratiquement impossible en raison de vetos attendus de la Russie et de la Chine, deux alliés clés de l’Iran, également signataires du PGAC. (Le mécanisme de règlement des différends de l’accord n’autorise pas de tels vetos.)
Qu’est-ce que le mécanisme de « snapback » et comment peut-il être déclenché ?
Le mécanisme de « snapback » a été intégré dans la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a approuvé le PGAC. Il permet à toute partie à l’accord de déclencher un processus rétablissant toutes les sanctions antérieures de l’ONU contre l’Iran – levées en vertu de l’accord – si l’Iran est reconnu comme étant en violation « significative » de ses obligations.
La portée des sanctions est vaste, allant de l’interdiction internationale des transferts d’armes, des équipements nucléaires et de l’enrichissement de l’uranium aux services bancaires, aux voyages et au gel des avoirs.
Voici le déroulement du processus de règlement des différends : si une partie au PGAC soupçonne une autre partie de « manquement significatif » à ses engagements, elle peut saisir une commission mixte composée de l’Iran, de la Russie, de la Chine, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Les États-Unis étaient membres de l’accord avant leur retrait en mai 2018 et, de ce fait, ne peuvent plus déclencher ce processus.
La Commission mixte dispose alors de 15 jours pour résoudre le problème. Si celui-ci persiste, elle peut le soumettre aux ministres des Affaires étrangères des pays signataires de l’accord.
À ce stade, la partie plaignante ou le membre accusé de non-respect a la possibilité de saisir un comité consultatif. Ce comité, composé de trois membres, dispose alors de 15 jours pour rendre un avis non contraignant. La Commission mixte doit ensuite examiner l’avis du comité consultatif afin de régler le différend dans un délai de cinq jours.
Si la ou les parties ayant déposé la plainte ne sont pas satisfaites de l’avis, elles pourraient considérer la « question non résolue » comme un motif pour cesser de respecter, en tout ou en partie, leurs engagements au titre du PGAC. Elles pourraient également saisir le Conseil de sécurité de l’ONU et l’informer du « manquement » de la partie accusée. Elles devraient également démontrer que la procédure de la Commission mixte a été épuisée de bonne foi.
Une fois notifié, le Conseil de sécurité doit soumettre la question à un vote dans un délai de 30 jours. Dans le cas de l’Iran, le Conseil doit adopter une résolution pour prolonger l’allègement des sanctions, auquel les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France opposeraient très certainement leur veto.
En l’absence d’une résolution dans les 30 jours, les sanctions imposées par toutes les résolutions précédentes de l’ONU contre l’Iran – levées par le PGAC – seraient automatiquement rétablies.
Le mécanisme a été conçu de telle sorte qu’aucun membre du Conseil de sécurité de l’ONU ne puisse opposer son veto à la mesure à ce stade. Cela signifie que la Russie et la Chine ne peuvent s’opposer à la réimposition de sanctions internationales contre l’Iran.
Pourquoi le groupe E3 menace-t-il d’invoquer le snapback ?
Au cœur de tout cela se trouve un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) publié début juin, qui critiquait le « manque général de coopération » de l’Iran avec l’agence et prétendait que le pays avait enrichi suffisamment d’uranium à 60 % de pureté pour fabriquer neuf bombes nucléaires s’il le souhaitait.
Le Conseil des gouverneurs de l’AIEA s’est servi de ce rapport pour déclarer que l’Iran avait violé ses obligations de non-prolifération pour la première fois en deux décennies.
L’Iran a condamné la motion de censure du 12 juin, soutenue par la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne et approuvée par les États-Unis, la jugeant politiquement motivée et servant d’outil de pression pour contraindre le pays à faire des concessions lors des négociations avec les États-Unis sur un éventuel accord nucléaire.
Le lendemain, Israël a frappé les installations nucléaires iraniennes et assassiné plusieurs de ses principaux scientifiques nucléaires lors d’une agression surprise le 13 juin.
Cette guerre d’agression, à laquelle les États-Unis se sont brièvement joints par la suite en bombardant trois des principaux sites nucléaires iraniens, a duré 12 jours avant la déclaration unilatérale d’un cessez-le-feu le 24 juin, après que des missiles balistiques iraniens ont paralysé la vie dans les villes occupées par Israël et qu’une importante base aérienne américaine au Qatar a également été prise pour cible.
Un article publié mardi sur le site web Axios indique que le secrétaire d’État américain Marco Rubio a eu des entretiens téléphoniques avec ses homologues français, allemand et britannique, et que tous ont convenu de fixer la fin août comme date limite pour la conclusion d’un accord avec l’Iran.
Si aucun accord n’est trouvé d’ici là, les trois puissances européennes prévoient de déclencher le mécanisme de « snapback », indique le rapport.
Que dit l’Iran et quelles sont ses options ?
L’Iran a prévenu qu’il apporterait une « réponse proportionnée et appropriée » si le mécanisme de retour des sanctions était déclenché, y compris un éventuel retrait du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).
Le ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a déclaré que tout retour des sanctions de l’ONU constituerait la « plus grave erreur » que les Européens pourraient commettre – à l’instar de celle commise par les Américains lors de l’attaque des installations nucléaires iraniennes –, ce qui, selon lui, a encore « compliqué » le dossier nucléaire.
Il a également averti que le déclenchement du processus « signifierait la fin du rôle de l’Europe dans le dossier nucléaire iranien ».
M. Araghchi a toutefois déclaré que la voie diplomatique restait ouverte, mais que toute négociation potentielle se limiterait strictement à la question nucléaire et au renforcement de la confiance dans le caractère pacifique du programme nucléaire iranien en échange d’un allègement des sanctions.
Les experts estiment que la levée des sanctions, qui ont durement touché l’économie, est la principale raison pour laquelle Téhéran souhaite conclure un accord avec les États-Unis et les pays européens.
Imposer davantage de sanctions à l’Iran par le biais du mécanisme de snapback torpillerait toute perspective de résolution diplomatique.
L’Iran fait toujours partie à l’accord nucléaire de 2015 et affirme avoir réduit certains de ses engagements en réponse aux graves violations commises par les États-Unis et les signataires européens.
L’Iran a souligné que ces mesures correctives étaient légales et prises en vertu des articles 26 et 36 du PGAC, qui définissent les mécanismes de traitement des violations de l’accord et permettent à une partie de cesser ou de réduire ses engagements si une autre partie ne respecte pas les siens.
Téhéran accuse les États-Unis et le groupe E3 d’avoir détourné le mécanisme de règlement des différends du PGAC, car ce sont eux qui ont violé l’accord en premier, ne laissant à l’Iran d’autre choix que d’exercer ses droits en vertu de l’accord en intensifiant son programme d’enrichissement et en limitant l’accès à ses sites nucléaires.
Le retrait des États-Unis du PGAC en 2018 et le rétablissement de sanctions économiques sévères, selon les experts, constituent l’exemple le plus flagrant de « manquement significatif » d’une partie à l’accord – une « question non résolue » qui a donné à l’Iran des motifs de « cesser de respecter ses engagements ».
La troïka européenne, affirme Téhéran, a perdu sa réputation en ne parvenant pas à sauver l’accord après le retrait américain, en offrant peu de garanties commerciales et économiques pour atténuer les effets du retrait américain, mais en se ralliant également à la campagne de « pression maximale » de Washington.
L’Iran y voit une violation de l’esprit de l’accord, qui promettait un allègement des sanctions en échange de restrictions sur son programme nucléaire.
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Esmaïl Baghaï, a déclaré lundi que l’activation du mécanisme de snapback était « une manœuvre politique et s’inscrivait dans le cadre d’une confrontation avec l’Iran ».
Surtout, Téhéran accuse le groupe E3 d’avoir pris le parti des agresseurs – Israël et les États-Unis – lors du bombardement des sites nucléaires iraniens. Cela les rend complices de l’agression et les prive de toute légitimité à lancer le « snapback », qui est un processus diplomatique.
Si les pays de l’E3 mettent en exécution ce mécanisme, l’Iran pourrait considérer cette décision comme une « violation hostile » du PGAC, ce qui lui permettrait de prendre des contre-mesures en vertu de l’article X du TNP, qui autorise le retrait si les « intérêts suprêmes » d’un membre ont été compromis.
Cela mettrait fin de facto à la surveillance du programme nucléaire iranien par l’AIEA.
Si un tel scénario devait se produire, les États-Unis subiraient une pression encore plus forte de la part d’Israël et de son puissant lobby à Washington pour lancer conjointement une nouvelle série d’attaques contre les installations nucléaires iraniennes, entraînant toute la région dans une spirale d’escalade et d’incertitude.
Ce ne serait dans l’intérêt de personne, et encore moins de l’Europe.
Alors que le Parlement iranien a adopté une loi suspendant la coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à la suite des attaques contre les installations nucléaires du pays, Téhéran a clairement indiqué qu’en tant que membre du TNP, il poursuivrait pour l’instant ses échanges avec l’agence.
Cette coopération prendra une « nouvelle forme » et sera menée par l’intermédiaire du Conseil suprême de sécurité nationale.