Vendredi, l'armée syrienne a pris position sur les frontières avec la Turquie et plus précisément dans la banlieue nord de la province de Hassaké. Des centaines de Kurdes de Syrie, ceux-là mêmes qui jetaient il y a quelques jours des pierres en direction des blindés américains fuyant Hassaké, s'étaient rassemblés pour accueillir les forces de l'armée nationale.
Les effectifs de l’armée sont ainsi entrés dans le village d’Umm al-Kahf sur la route de Tall Tamer à Ras al-Aïn, localité qu'occupe la Turquie pour le moment, suivant les termes mêmes du mémorandum de Sotchi. Rien qu'à suivre les slogans scandés par les habitants de Hassaké, tous en faveur du déploiement rapide de l'armée nationale, l'observateur averti comprend que la tâche ne s'annonce pas aussi facile pour l'OTAN. Car, en préservant Ras al-Aïn et Tall Abyad, la Turquie, membre actif de l'OTAN pourrait bien ouvrir la porte du Nord syrien aux supplétifs européens de Washington tandis que ce dernier, en repli non autorisé en Irak, masserait ses troupes plus au sud, à al-Anbar et à Salaheddine, pour contrer toute avancée des forces patriotiques irakiennes à savoir celles-là mêmes qui ont fait l'échec au projet Daech.
Parallèlement au déploiement des forces syriennes à Hassaké, d'autres contingents ont traversé la ville de Qamichli, près de la frontière turque pour prendre position dans le village d’Umm al-Kahf, là où ils ont pour mission de faire face à toute éventuelle agression turque. L'armée syrienne se fait bien accompagner par la Russie dont quelque 300 policiers militaires à bord de 20 véhicules blindés se déploient en ce moment sur les frontières syro-turques : il s'agit de soldats tchétchènes qui aident au retrait des Kurdes à une distance de 30 kilomètres des frontières turques et qui savent comment s'y prendre face aux mercenaires turkmènes de la Turquie.
Ce samedi, le ministre allemand des AE est attendu à Ankara pour une visite que les sources turques disent être axée sur le sort des Kurdes. Mais les observateurs en doutent fort: le 21 octobre, la ministre allemande de la Défense et présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, a jeté le pavé dans la mare, en plaidant en faveur de la création d'une zone tampon « internationale » dans le Nord-Est syrien. Évidemment pas dans la zone contrôlée par l'armée syrienne et la Russie, mais dans des villes qu'occupe l'armée turque.
Jouant aux veuves effarouchées, la France et la Grande-Bretagne s'y sont opposées sans pour autant pouvoir tromper des analystes. À travers l'Allemagne et en parfaite harmonie avec Washington, l'OTAN compte jouer aux Yankees dans le Nord syrien dans l'objectif de déplacer le centre du conflit OTAN/Russie vers Levant. « Il semble qu’après le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 16 octobre, Berlin ait décidé de s'arroger le droit autoproclamé de la gestion de l’Asie centrale, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, soit des régions dont les USA n'ont pas d'autres choix par les temps qui courent, que de se retirer ». Ce déploiement qui a paradoxalement intéressé le secrétaire général de l'ONU a aussitôt provoqué la réaction russe.
La diplomatie russe s'est violemment opposée à l'idée exprimée par les Allemands. En réponse aux commentaires des responsables allemands et d'autres pays sur le rôle des Nations unies dans l'établissement d'une zone de sécurité dans le nord de la Syrie, le ministre russe des Affaires étrangères a souligné le succès du récent accord Ankara-Moscou. « Pourquoi faudrait-il entraver le processus de cet accord ? ».
En se retirant du nord-est de la Syrie, les États-Unis ont-ils cherché à réunir les conditions de l'ouverture d'un front opposant l'OTAN à la Russie? Probable. En dépit d'une rhétorique anti-OTAN, le président russe en est à inviter désormais les chefs de l'OTAN au sud du pays pour une réunion consacrée aux récents événements. D'ailleurs, les États-Unis ont entamé lundi le déploiement en Lituanie d’un bataillon de soldats et de dizaines de chars pour une rotation sans précédent de six mois, dans le cadre d’une opération dissuasive adressée à la Russie voisine.