Fonder 14 villes et 140 villages en Syrie, voilà ce à quoi rime le projet de la zone tampon que la Turquie a créée à l’aide des USA dans le nord de la Syrie.
Plus qu’une fois, la Turquie a signé des déclarations, aux côtés de la Russie et de l’Iran et dans le cadre des négociations d’Astana, déclarations qui défendent l’intégrité territoriale de la Syrie et la souveraineté de l’État syrien sur le territoire syrien. Or, la politique d’Ankara vis-à-vis de l’avenir de la Syrie est marquée d’importante ambiguïté sinon des fluctuations qui laissent croire qu’Ankara se joue de ses partenaires.
Quels sont les plans d’Erdogan pour la Syrie ?
En cette année 2019, lors de son discours prononcé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est bien exprimé sur la Palestine. Ayant une carte à la main pour montrer les modifications graduelles dans les territoires occupés, Erdogan a estimé qu’Israël était un agresseur inassouvissable. Après avoir évoqué le dossier palestinien, Erdogan a montré une autre photo à ses interlocuteurs en disant que la photo concernait la coopération entre Washington et Ankara sur la mise en place d’une zone tampon dans le nord de la Syrie.
Erdogan a déclaré que le plan américano-turc permettrait à deux millions de réfugiés syriens de regagner leur pays et de vivre dans des régions étant sous le contrôle des États-Unis et de la Turquie. Il a ajouté que si la zone tampon s’étendait vers Raqqa et Deir ez-Zor, trois millions de réfugiés pourraient être hébergés. Mais ce qu’a Erdogan n’a pas évoqué pendant son discours vient d’être publié par les médias turcs : Ankara a des plans bien détaillés voulant créer 14 villes et 140 villages en Syrie.
Construire une petite Syrie dans une grande Syrie
La République arabe syrienne n’est pas un pays à la grande population. Selon les derniers chiffres, entre 22 et 23 millions de personnes habitaient en Syrie avant qu’un tiers ne se réfugient en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Europe. L’initiative d’Ankara de construire dix villes et 140 villages pour héberger deux millions de personnes représente près de 10 % de la population syrienne, un chiffre qui s’annonce important dans la conjoncture actuelle.
Une infrastructure qui reste dans un halo d’incertitude
Vendredi 27 septembre, les responsables turcs ont remis aux médias des cartes montrant que des équipes d’ingénieurs et d’architectes avaient déjà planifié la construction de villes, de grands et de petits villages, de stades, de mosquées, de préfectures, de gendarmeries et des maisons d’habitation en Syrie. Les bâtiments qui devraient être construits dans la zone tampon syrienne auront des traces d’une architecture seldjoukide et ottomane. Le gouvernement turc entend construire, dans le Nord syrien, 14 villes et 140 villages. Chaque village devrait héberger 5 000 personnes et les habitants de toute ville atteindraient le nombre de 30 000. Ainsi, 700 000 personnes habiteront dans les villages et 300 000 autres dans des villes prévues. Si le plan réussit, d’autres phases de construction se succéderont.
Au total, 200 000 bâtiments – immeubles, écoles, cliniques, mosquées, stades, bureaux et centres militaires – devraient être construits selon le plan turc. Là, deux points ambigus restent à traiter :
Modification du tissu démographique de la Syrie
À peine un jour après la publication du plan turc par les médias, les critiques se sont déjà exprimés là-dessus. Beaucoup d’entre eux pensent que les signes d’une modification du tissu démographique syrien sautent aux yeux dans le plan d’Erdogan. Dans la foulée, le vice-président du Parti républicain du peuple de la Turquie, chargé d’organiser une conférence pour examiner les solutions censées mettre fin à la crise en Syrie, a déclaré : « nombre d’hommes d’État proches du gouvernement syrien ont été invités à la Turquie pour prendre part à cette conférence, mais le ministère turc des Affaires étrangères a refusé de leur livrer de visas ».
Il a qualifié d’« inacceptable » l’initiative d’Ankara visant à imposer une modification démographique à la Syrie. « Nous ne pouvons pas faire retourner les réfugiés syriens à leur pays tant qu’ils ne le souhaiteraient pas. On violera ainsi toutes les règles internationales. Comment la sécurité de ces régions sera assurée sans le feu vert du gouvernement Assad ? Ce plan risque d’entraîner le démembrement de la Syrie », a réaffirmé le responsable turc.
Le propriétaire a autorisé la réalisation du plan ?
La Turquie cherche à fonder des villes et des villages en Syrie alors qu’elle n’a pas encore repris ses contacts avec le gouvernement syrien. Ankara n’entretient que des relations sécuritaires limitées avec le gouvernement Assad. Damas a souligné, à maintes reprises, que les États-Unis et la Turquie n’avaient pas le droit de décider du sort de la Syrie et que toute décision à ce propos serait illégale et inadmissible. La coopération entre Ankara et Washington dans le nord de la Syrie reste marquée d’importante ambiguïté alors que le gouvernement syrien n’a pas encore été mis au courant du plan américano-turc.