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Reconnaissance de la Palestine : tournant diplomatique ou pari risqué de Macron ?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Reconnaissance de la Palestine: tournant diplomatique ou pari risqué de Macron?

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

La France va reconnaître l'État de Palestine en septembre à l'ONU, a annoncé Emmanuel Macron, jeudi 24 juillet. Cette décision, visant à soutenir la solution à deux États, suscite espoirs et critiques, dans un contexte régional et national tendu. Mais que va changer l’annonce de Macron ? Quelles seront les implications de cet engagement ? Quel impact juridique concret cette décision peut-elle avoir ?

Si le président français espère créer une dynamique collective en ce sens, la décision a aussitôt été décriée par Israël et fermement rejetée par les États-Unis. D'autres capitales l'ont saluée, alors qu'en France, on regrette que cela « ne changera rien sur le terrain à Gaza ».

Le 19 mai, le Royaume-Uni, le Canada et la France avaient ouvert la voie à une éventuelle reconnaissance dans une déclaration commune. Mais depuis, aucun des dirigeants de ces trois pays n’avait franchi le pas.

Cette annonce intervient alors que l’émissaire américain Steve Witkoff a acté jeudi l’échec des pourparlers menés à Doha en vue d’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza.

Israël fait la sourde oreille à la pression internationale croissante sans menace de sanction pour stopper ses atrocités à Gaza et mettre fin aux souffrances des plus de 2 millions d’habitants du territoire palestinien, soumis à un blocus qui les prive d’une aide humanitaire vitale et les plonge dans la famine.

Reconnaître l’État de Palestine : créer une dynamique collective

« Fidèle à son engagement historique pour une paix juste et durable au Proche-Orient, j'ai décidé que la France reconnaîtra l'État de Palestine. J'en ferai l'annonce solennelle à l'Assemblée générale des Nations unies, au mois de septembre prochain » : c'est par ces mots que le président français Emmanuel Macron a annoncé, le 24 juillet, que la France deviendra le 142e pays à reconnaître l'État palestinien. Le pays deviendra même le premier membre du Conseil de sécurité de l'ONU à le faire, tout comme le premier pays du G7.

La décision a fait réagir de nombreuses capitales dans le monde. Plus grand allié d'Israël, les États-Unis ont « fermement » rejeté le projet du président français de reconnaître un État palestinien, parlant d'une décision « imprudente qui fait reculer la paix ».

L'Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït ont « salué cette décision historique ». Riyad coprésidera, avec la France, une conférence internationale au niveau des chefs d'État et de gouvernement visant à relancer la solution dite « à deux États », palestinien et israélien. « Le Royaume salue cette décision historique qui réaffirme le consensus de la communauté internationale sur le droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à l'établissement d'un État indépendant sur les frontières de 1967 », a écrit le ministère saoudien des Affaires étrangères. Riyad a également appelé les autres pays à prendre « des mesures positives similaires ».

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, qui a lui reconnu l'État de Palestine en mai 2024, a salué l'initiative du président Macron. « Ensemble, nous devons protéger ce que Netanyahu essaie de détruire. La solution à deux États est la seule solution », a écrit le Premier ministre socialiste, critique virulent de l'offensive israélienne à Gaza, sur son compte X.

Le gouvernement allemand « n'envisage pas de reconnaître un État palestinien à court terme », a-il indiqué vendredi.

Berlin « continue de considérer la reconnaissance d'un État palestinien comme l'une des dernières étapes vers la solution à deux États », a précisé dans un communiqué le gouvernement allemand, rappelant que la sécurité d'Israël « revêt une importance primordiale » pour l'Allemagne.

France : pour la gauche une annonce tardive, pour l’extrême droite une décision « précipitée »

En France, l’annonce divise. Historiquement, la gauche demande la reconnaissance de la Palestine, mais elle se garde de tout enthousiasme. « L’urgence face à la famine, face aux massacres en cours, c’est de tout faire pour stopper cela. La reconnaissance [de l’État de Palestine] ne suffira pas, mais c’est un pas dans la bonne direction », selon le socialiste Arthur Delaporte. Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, s’est, à l’inverse, félicité d’une « victoire morale », tout en déplorant qu’elle ne soit pas immédiate. « Pourquoi en septembre et pas maintenant ? Et l’embargo sur les armes ? Et la rupture de l’accord de coopération ? Nous voulons l’arrêt immédiat du génocide. Nous voulons un engagement clair et immédiat contre le crime », a-t-il écrit sur X.

Le vice-président des LR François-Xavier Bellamy a qualifié vendredi d'« inutile » voire de « contre-productive » la décision. « Cette décision sera soit parfaitement inutile (...) soit même, ce qui est le pire, contre-productive », a-t-il déclaré au micro de RTL.

Le Rassemblement national, qui revendique la solution à deux États mais s’est également rapproché d’Israël ces derniers mois, s’est montré sceptique. Pour son président, Jordan Bardella, il s'agit « d'une décision précipitée, davantage motivée par des considérations politiques personnelles que par une sincère recherche de justice et de paix ».

Si cette reconnaissance envoie un signal en France aux personnes sensibles à la cause palestinienne et aux opinions arabes, son impact concret reste incertain face aux défis géopolitiques et à l’absence de consensus international.

Macron insiste sur la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat à Gaza, de la libération des prisonniers et d’une aide humanitaire massive. Cependant, la mise en œuvre de cette reconnaissance soulève des questions complexes. Un État doit reposer sur un territoire défini, une population et une autorité légitime. Or, la Cisjordanie est fragmentée par les colonies israéliennes, Gaza est dévastée par la guerre, et l’Autorité palestinienne, dirigée par Mahmoud Abbas, est critiquée pour son manque de légitimité et sa gestion.

Reconnaissance de l’État palestinien : que va changer l’annonce d’Emmanuel Macron ?

Cette décision intervient dans un contexte d'urgence humanitaire à Gaza, où Israël impose depuis mars un blocus total. « L’urgence est aujourd’hui que cesse la guerre à Gaza et que la population civile soit secourue », a souligné le président français sur X. L’Élysée fait valoir que cette reconnaissance doit permettre une « contribution décisive à la paix au Proche-Orient ».

Le 10 juillet, en visite au Royaume-Uni, Emmanuel Macron avait appelé à une reconnaissance commune de l'État de Palestine par la France et le Royaume-Uni, sans succès pour l'heure.

Mais la diplomatie française veut croire que l'annonce du chef de l'État français peut avoir une influence. D'une part parce que la France est membre du Conseil de sécurité de l'ONU et du G7, ce sera d'ailleurs le premier pays du G7 à reconnaître l'État palestinien. D'autre part, Paris espère que sa décision entraînera celles d'autres pays occidentaux. En mai 2024, l'Irlande, l'Espagne et la Norvège, rejointes un mois plus tard par la Slovénie, avaient déjà franchi le pas.

Sur le terrain précisément, l'existence d'un État palestinien souverain semble plus que jamais s'éloigner : Gaza fait l'objet d'un blocus total depuis mars et en Cisjordanie, les check-points tenus par l’armée israélienne se multiplient - il en existe près de 900 aujourd’hui, sur un territoire de 5.000 km².

D'ailleurs, mercredi 23 juillet, le Parlement israélien a voté une motion en faveur d'une annexion de la Cisjordanie par Israël pour « retirer de l'ordre du jour tout projet d'État palestinien ». Celle-ci intervient suite à l'accélération ces derniers mois d'une forme de colonisation de la Cisjordanie avec la réforme des cadastres et la multiplication de violences de colons extrémistes.

Sur le plan diplomatique, cette décision pourrait encourager d’autres pays européens à emboîter le pas, renforçant la pression internationale sur Israël.

Il n'y a pas de perspective concrète à espérer de cette reconnaissance de la Palestine, notamment en termes de tracé de frontières ou de localisation des populations palestiniennes. Mais un processus politique collectif peut s'engager, espèrent les organisateurs de la conférence de New York, et un cadre peut être élaboré dans les soixante jours qui mèneront à un éventuel cessez-le-feu.

Reconnaissance de la Palestine : quelles implications internationales ?

La décision française doit être replacée dans le contexte d'un changement géopolitique progressif mais décisif dans le monde occidental. La reconnaissance de la Palestine par Paris pourrait apporter une vague de légitimité diplomatique à l'État palestinien. Surtout dans un contexte où le soutien à Israël dans l'opinion publique occidentale a fortement diminué, la Chine, la Russie et les pays du Sud soutiennent pleinement les revendications palestiniennes, et la faction démocrate aux États-Unis se divise également progressivement dans son soutien inconditionnel à Israël.

L'action de la France pourrait pousser des pays majeurs comme la Belgique, le Portugal et même l'Italie à emprunter cette voie. Des rapports indiquent que certains parlementaires font pression sur le gouvernement britannique pour qu'il adopte une décision similaire à celle de Paris. Dans ce cas, l'Union européenne, divisée sur la question palestinienne depuis des années, se rapprocherait d'une position unifiée.

Dans le camp inverse, Israël a accusé les États reconnaissants la Palestine d'« d’apologie du terrorisme ». Cette réaction, d'une part, témoigne de l'isolement croissant d'Israël sur la scène internationale et, d'autre part, confirme le fossé entre l'extrémisme politique de Tel-Aviv et les approches plus modérées de l'Occident.

Aux États-Unis, bien que l'administration Trump demeure opposée à la reconnaissance unilatérale de la Palestine et que le secrétaire d'État américain ait jugé l'action française inacceptable, la division du Congrès et la pression croissante des institutions de défense des droits de l'homme et du monde universitaire pourraient ouvrir la voie à des changements plus profonds à l'avenir.

En fin de compte, la reconnaissance officielle de l'État palestinien par la France doit être considérée comme le point de départ d'une « redéfinition de la légitimité » de la question palestinienne. Dans un monde où la légitimité ne vient plus simplement du bout du fusil, mais de la volonté de la communauté internationale, de l'opinion publique et du respect des principes internationaux, la Palestine reconstruit sa position de « victime résistante » face à un « occupant illégitime ».

Surtout, si les Européens rejoignaient massivement les quelque 145 pays reconnaissant déjà l’État de Palestine, Israël serait un peu plus isolé sur la scène internationale. Mais, tous en conviennent, les reconnaissances des uns et des autres ne suffiront pas pour stopper le déluge de feu qui s’abat sur Gaza depuis le 7 octobre 2023.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV