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Comment un projet américano-israélien de « changement de régime » en Iran, vieux de 46 ans, s'est effondré en 12 jours

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Ivan Kesic

La lettre de l'ancien ministre israélien des Affaires militaires, Yoav Gallant, adressée au Leader de la Révolution islamique, l'Ayatollah Seyyed Ali Khamenei, ressemble moins à un tour d'honneur qu'à une demande de pardon.

Intitulée « Votre rêve nucléaire a échoué. À vous de choisir », la lettre a été publiée sur son compte Substack et rapidement relayée par les médias israéliens et les agences de presse occidentales.

Gallant, ministre de la Guerre du régime de 2022 jusqu'à sa destitution en novembre 2024, s'était brouillé avec Benjamin Netanyahu suite à des différends politiques, notamment sur la question du retour des captifs israéliens détenus à Gaza.

Durant son mandat, Gallant a supervisé 14 mois d'une guerre génocidaire dévastatrice à Gaza, qui a conduit la Cour pénale internationale à émettre des mandats d'arrêt contre lui et Netanyahu en 2024, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Désormais sous surveillance judiciaire et en exil politique, Gallant tente de repenser son héritage calomnié.

Pourtant, sa lettre est truffée d'affirmations exagérées, reprises de la propagande de Tel-Aviv lors de son agression militaire ratée contre l'Iran, une campagne qui non seulement n'a pas atteint ses objectifs, mais s'est avérée terriblement contre-productive pour le régime.

Fantaisies, menaces et ultimatum voilé

Dans sa lettre ouverte, Gallant a dressé un tableau exagéré – et parfois fantasmé – de la prétendue suprématie militaire et du renseignement d'Israël sur l'Iran.

« Nous voyons tout. Nous entendons tout. Nous sommes partout », a-t-il écrit, affirmant que le régime israélien possède une connaissance approfondie des rouages internes de l'Iran, y compris du programme du Leader, des sites sécurisés, des communications et même de ce qu'on appelle les « angles morts ».

Il est même allé jusqu'à dire : « Nous en savions plus sur vous que vous n'en saviez sur vous-mêmes. »

Gallant a affirmé que la stratégie iranienne dite de la « Ceinture de feu », construite autour des alliés de l'Axe de la Résistance comme le Hezbollah, le Hamas et d'autres partenaires régionaux, s'était effondrée en raison d'un complot militaire israélo-américain coordonné.

Il a également fait le lien avec l'opération historique du Hamas du 7 octobre 2023, affirmant que les armes, la formation et le financement iraniens avaient joué un rôle central dans cette opération qui a changé la dynamique régionale.

L'ancien ministre de la Guerre a également prétendu qu'Israël avait détruit les défenses aériennes iraniennes, survolé Téhéran comme s'il s'agissait de Tel-Aviv, assassiné de hauts commandants et des scientifiques nucléaires iraniens, et retardé de plusieurs années le programme nucléaire iranien.

Vers la fin de sa lettre, Gallant présentait ce qu'il décrivait comme trois choix difficiles : Tenter de reconstruire l'Axe de la Résistance, une initiative qui, selon lui, serait rapidement démantelée ; accélérer le développement nucléaire, ce qui, selon lui, déclencherait des représailles encore plus importantes ; ou négocier, une voie que Gallant doutait que l'Iran soit prêt à emprunter.

Délires du Likoud

La lettre ouverte de Gallant donne un aperçu des illusions entretenues par le régime israélien, notamment au sein de sa direction du Likoud, quant aux réalités du terrain dans la région.

Ces illusions, régulièrement reprises par Netanyahu, dessinent un récit triomphaliste qui contraste fortement avec les faits reconnus même par les analystes israéliens et les politiciens de l'opposition.

La première illusion, et la plus flagrante, est la revendication d'une « victoire » israélienne sur l'Axe de la Résistance.

Non seulement cette affirmation est prématurée d'un point de vue stratégique, mais elle est largement contestée par les observateurs militaires et politiques.

Le Leader de la Révolution islamique a souvent rejeté l'idée que la Résistance ait pris fin, la qualifiant de « fausse impression ».

Dans ses discours de fin d'année dernière, il a rappelé que « l'esprit de Sayyed Hassan Nasrallah et de Yahya Sinwar est vivant, et que leur martyre ne les a pas exclus de l'arène », soulignant que « leurs âmes, leur pensée et leur chemin perdureront ».

« Gaza subit des attaques quotidiennes et offre des martyrs, mais elle reste résiliente et résiste, et le Liban aussi résiste », a déclaré l'Ayatollah Khamenei dans l'un de ses discours.

« Le Hezbollah est vivant, prospère et joue pleinement son rôle historique. Comme toujours, la République islamique continuera de soutenir les moudjahidines d'Al-Qods et ceux qui résistent à l'occupation de la Palestine par cette bande criminelle usurpatrice, si Dieu le veut », a-t-il ajouté.

Et les événements sur le terrain aujourd'hui – de Gaza à Téhéran – corroborent ses propos.

Malgré les allégations de Netanyahu, qui a déclaré à plusieurs reprises que « le Hamas est mort », la Résistance à Gaza reste acharnée. Les récents incidents à Gaza ont infligé des pertes considérables aux forces du régime israélien, et la détermination des Palestiniens n'a fait que se renforcer sous le siège.

De même, après l'assassinat de hauts dirigeants du Hezbollah par des frappes aériennes israéliennes en 2024, Tel-Aviv espérait que le groupe s'effondrerait ou se retirerait.

Au lieu de cela, les capacités du Hezbollah demeurent largement intactes. Son arsenal est abrité en toute sécurité dans un vaste réseau de bunkers souterrains, savamment dispersés pour éviter une destruction concentrée et garantir sa survie.

L'affirmation de Gallant selon laquelle le Hezbollah n'est rien d'autre qu'une « réserve stratégique iranienne » déployable au gré de Téhéran s'inscrit dans un mythe tenace selon lequel tous les mouvements de résistance régionaux ne seraient que des mandataires iraniens.

Le Hezbollah est avant tout un mouvement de résistance libanais, né de l'invasion israélienne du Liban en 1982, et sa mission est avant tout nationale : défendre le Liban contre les agressions israéliennes répétées, comme on l'a constaté au fil des ans.

Lors de la récente guerre imposée à l'Iran, il n'a pas eu besoin de l'intervention de ses alliés régionaux, dont le Hezbollah.

Téhéran s'est défendu directement en utilisant ses propres capacités avancées de missiles et de drones – un message clair indiquant qu'il peut réagir de manière indépendante et décisive.

L'affirmation selon laquelle Sayyed Hassan Nasrallah aurait « demandé l'autorisation » d'entrer en guerre échoue également à la vérification des faits, contredite par l'objectif clairement affiché du Hezbollah : apporter un soutien calibré à la Résistance palestinienne tout en évitant une escalade plus large, sauf en cas d'absolue nécessité.

La description par Gallant de la soi-disant « ceinture de feu » – s'étendant à l'Irak, au Yémen et à la Syrie – déforme également la réalité. Les factions de résistance irakiennes et yéménites restent actives et engagées.

Sa référence au « réalignement » syrien est tout aussi déplacée, car Damas n'a même pas joué de rôle opérationnel dans la situation actuelle. Elle a été totalement absente du tableau.

Fantaisie d'une « victoire » sur l'Iran

L'interprétation par Gallant de la récente guerre imposée à l'Iran ressemble à un communiqué de presse recyclé issu de la campagne israélienne de guerre psychologique ratée, un patchwork de propagande éculée, de désinformation et de vœux pieux.

Parmi les allégations les plus insolites figure celle selon laquelle Israël aurait acquis la « supériorité aérienne » sur Téhéran. L'Iran a été la cible de missiles air-sol longue portée lancés depuis des bases américaines en Irak, de missiles de croisière, de drones de sabotage et d'explosions secrètes, et non d'avions pilotés perçant l'espace aérien iranien, comme le révèlent les preuves.

Dans l'une des tromperies les plus théâtrales, des agents israéliens auraient incendié des pneus près de Téhéran pour simuler les conséquences de frappes aériennes, créant ainsi l'illusion d'attaques de bombardiers furtifs.

Mais les preuves sur le terrain révèlent une tout autre réalité : des dommages structurels limités, comparables à ceux causés par de petites ogives de drones, et non le type de dévastation causée par des bombes anti-bunker larguées par des avions de chasse.

Les avions furtifs peuvent échapper aux radars, mais pas à l’oreille humaine. Leurs moteurs sont vrombissants, et pourtant, au-dessus des villes iraniennes densément peuplées, aucun rugissement associé à ces appareils n’a été signalé, seulement le sifflement inquiétant de missiles de croisière ou de drones en approche.

Le contre-espionnage iranien a rapidement démantelé l’infrastructure de sabotage qu’Israël avait mis des années à construire. Des ateliers de drones improvisés, des agents clandestins et des réseaux d’informateurs ont été démasqués et neutralisés en quelques jours.

Ce démantèlement rapide a non seulement atténué l’offensive, mais a également révélé la nature exagérée des capacités de renseignement israéliennes. Le récit de Gallant élève ces opérations au rang de coup de maître, alors qu’en réalité, elles ont été fugaces et largement inefficaces.

Plus éhontée encore est la célébration ouverte par Gallant de l'assassinat de scientifiques iraniens, dont beaucoup n'étaient pas des personnalités impliquées dans des projets militaires secrets, mais des universitaires respectés, des conférenciers et des contributeurs à la recherche scientifique ouverte.

Leurs discours n'étaient pas un secret d'État. Leurs morts étaient des actes de terrorisme, et non des victoires tactiques.

La démagogie de Gallant reflète fidèlement les affirmations discréditées formulées lors de la campagne d'octobre 2024, lorsque les responsables israéliens ont annoncé avoir paralysé les défenses aériennes, les installations de production de missiles et l'infrastructure nucléaire de l'Iran.

Ces affirmations ont été rapidement démenties par les opérations de représailles réussies de l'Iran, qui ont démontré à la fois ses capacités et sa profondeur stratégique.

L'agression israélienne de juin 2025 a échoué sur tous les plans stratégiques. Elle n'a pas mis fin aux programmes nucléaire et balistique de l'Iran. Elle n'a pas porté de coup au leadership militaire iranien. Elle n'a pas réussi à éroder le soutien populaire au gouvernement iranien et, surtout, elle n'a pas atteint son objectif ultime : le prétendu « changement de régime ».

Fin de 47 ans de fantasme de « changement de régime »

La récente tentative du régime israélien de déstabiliser l'Iran par une agression militaire n'a jamais véritablement visé la victoire militaire. Il s'agissait plutôt du projet de « changement de régime » mené depuis 46 ans.

Les frappes contre les infrastructures scientifiques et militaires iraniennes étaient, au mieux, timides, témoignant que même les stratèges israéliens étaient parfaitement conscients de leurs propres limites opérationnelles.

Ce qu'ils recherchaient réellement, c'était la conquête psychologique – un effondrement de l'intérieur.

Dès le départ, il s'agissait d'une guerre de perception. Le blitz de désinformation sur la prétendue « supériorité aérienne » israélienne et les fausses affirmations d'élimination des dirigeants iraniens étaient des éléments classiques de la guerre psychologique.

L'objectif n'était pas de dominer le champ de bataille, mais d'instiller le doute et la peur parmi le peuple iranien, de lui faire croire que son gouvernement l'avait trahi.

Cette guerre d'agression s'est accompagnée d'une campagne médiatique soigneusement orchestrée en Occident, où experts et analystes ont évoqué l'effondrement imminent de l'Iran.

La glorification de la monarchie Pahlavi a refait surface dans les médias mainstream, la présentant comme un âge d'or.

Mais les rues iraniennes sont restées silencieuses et résilientes. Il n'y a eu ni soulèvements, ni effondrement, ni désintégration. Au contraire, l'agression israélienne a eu l'effet inverse.

Elle a galvanisé l'opinion publique iranienne. Tout comme au début des années 1980, lors de la guerre imposée par l'Irak, la nation s'est unie malgré la guerre et le siège. La colère du peuple ne s'est pas tournée vers ses dirigeants, mais vers l'extérieur, face au régime qui bombardait ses villes.

Il ne s'agissait pas seulement d'un échec tactique. C'était l'effondrement dramatique d'une ambition stratégique mûrie depuis 46 ans. Le complot ourdi à Tel-Aviv et à Washington s'était effondré.

Depuis la Révolution islamique de 1979, l'axe américano-israélien a agressivement cherché à obtenir un changement de régime en Iran par le biais de sabotages, de sanctions, d'opérations secrètes, de guerres par procuration et d'une guerre médiatique.

L'objectif a toujours été clair : installer un régime fantoche qui démantèlerait la souveraineté militaire, scientifique et économique de l'Iran et intégrerait le pays à l'architecture hégémonique occidentale, comme c'était le cas avant 1979.

Une telle transformation accorderait aux États-Unis et à Israël un contrôle incontesté sur les corridors énergétiques régionaux, les équilibres militaires et les points d'étranglement stratégiques, sans rival sérieux.

Elle effacerait la République islamique en tant que modèle politique, pôle culturel et obstacle géopolitique, et permettrait au régime israélien de poursuivre son expansionnisme sans entraves.

De Menahem Begin et Ariel Sharon à Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, le flambeau de ce fantasme de « changement de régime » s'est transmis à travers des décennies de leadership israélien.

Des personnalités comme Yossi Cohen et Giora Eiland lui ont donné forme par le renseignement et la diplomatie. Mais ce fantasme s'est toujours heurté au même obstacle : la résilience iranienne.

La République islamique a survécu grâce à une volonté nationale inébranlable, qui a déjoué les opérations les plus sophistiquées, une volonté qui s'est une fois de plus manifestée pendant cette guerre.

La soi-disant « opposition » reste fragmentée, financée par l'étranger et largement discréditée. Les options militaires et de renseignement ont échoué à plusieurs reprises, et les campagnes de propagande sont restées lettre morte.

L'agression de 2025, dont Gallant était le visage public, pourrait bien être l'itération la plus ouverte et la plus désespérée de la stratégie de changement de régime à ce jour. Pourtant, elle s'est conclue par la rédaction par Gallant d'une lettre ouverte au Leader iranien, se faisant l'écho d'un appel à la négociation.

Cette lettre est un aveu discret de défaite et de soumission. Son appel aux négociations, sous couvert de menaces, révèle l'amère vérité : le changement de régime a une fois de plus échoué. Et cette fois, ce fantasme vieux de 46 ans a été tué dans l'œuf.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV