Dans la nuit de mercredi 9 à jeudi 10 mai 2018, un échange de frappes sans précédent a eu lien entre Israël et la Syrie.
Les médias dominants, ainsi que certains médias « alternatifs » comme Russia Today, se sont empressés de relayer la version des faits de l’armée israélienne, selon laquelle le régime israélien aurait « riposté » à une « attaque iranienne menée par la Force Al-Qods du Corps des gardiens de la Révolution islamique » consistant en un tir de « vingt roquettes » contre des positions israéliennes dans le Golan occupé, dont quatre auraient été « interceptées par le Dôme de Fer » israélien et les autres se seraient « écrasées en territoire syrien », aucun dégât n’étant recensé en Israël.
Israël aurait répondu à cet « acte d’agression » inédit par une « opération de grande envergure » qui aurait détruit « l’ensemble de l’infrastructure iranienne en Syrie », afin de dissuader la République islamique de toute velléité de frappe future.
Ce récit prend pour argent comptant les postulats, données et mythes de la propagande de l’entité sioniste – qui impose aux médias israéliens une censure militaire permanente, exposant tout contrevenant à une peine de prison ; et à en lire les médias internationaux, on pourrait croire que comme les sanctions économiques américaines, cette censure est extraterritoriale –, mais aucun d’entre eux ne résiste à l’analyse.
L’agresseur est indubitablement Israël, qui a réalisé plus d’une centaine de frappes contre la Syrie depuis le début du conflit. Après la mise en scène chimique de Douma, ses agressions se sont intensifiées avec les attaques contre la base syrienne T-4 le 9 avril, qui ont notamment tué sept forces iraniennes.
Suite à l’annonce américaine de retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, de nouvelles frappes israéliennes ont ciblé des positions syriennes mardi 8 mai dans la banlieue sud de Damas, et mercredi 9 mai à Quneitra, au sud du pays.
Incontestablement, la Syrie n’a fait que riposter à une énième agression, avec une fermeté qui a ébranlé Israël et l’a contraint à sortir du mutisme auquel il se confine habituellement.
La riposte syrienne – et non iranienne – a consisté en un tir de plus de cinquante – et non pas vingt – roquettes contre quatre bases militaires israéliennes sensibles dans le Golan occupé, qui ont causé des dégâts matériels et même des pertes humaines selon Al-Manar, le média du Hezbollah. Celles-ci n’ont pas été rapportées par la presse israélienne du fait de la censure militaire drastique interdisant de mentionner l’agression initiale d’Israël, d’évoquer un tir de plus de vingt roquettes, d’identifier leurs cibles et de parler des dommages infligés, ce afin de rassurer la population à l’intérieur et de permettre aux capitales occidentales vassales d’égrener leur refrain du sacro-saint-droit-d’Israël-à-se-défendre.
La chaîne de télévision libanaise Al-Mayadeen a précisément identifié les postes militaires frappés :
1- un centre militaire de reconnaissance technique et électronique ;
2- le poste de sécurité frontalière et de renseignement 9900 ;
3- un centre militaire de brouillage électronique ;
4- un centre militaire d’espionnage de réseaux sans fil et filaires ;
5- une station de transmission ;
6- un observatoire de l’unité d’armes de précision pendant les opérations au sol ;
7- un héliport de combat ;
8- le quartier général du commandement militaire régional de la brigade 810 ;
9- le centre de commandement du bataillon militaire à Hermon ;
10- le quartier général d’hiver d’une unité spéciale alpine.
Le succès des frappes israéliennes, qui, à en croire le ministre israélien des Affaires militaires Avigdor Lieberman, auraient détruit presque « l’ensemble de l’infrastructure iranienne », est largement exagéré : les responsables militaires russes, dont les radars ont suivi ce combat en temps réel, ont annoncé que plus de la moitié des 60 missiles tirés par 28 F-15 et F-16 israéliens – ainsi que des 10 missiles sol-sol – ont été interceptés. L’armée syrienne recense trois morts et deux blessés, une station radar et un entrepôt de munitions détruits et des dégâts matériels sur des unités de défense antiaérienne syriennes.
La présence même de bases militaires iraniennes et/ou d’importants contingents iraniens en Syrie est une fable : l’Iran n’y dispose que d’une présence modeste (essentiellement composée de conseillers militaires, effectivement issus du Corps des gardiens de la Révolution Islamique), contrairement au Hezbollah ou à la Russie.
Tout reportage objectif sur ces événements devrait ressembler à celui de Robert Fisk : « Les Américains ont dû être informés en amont des dernières frappes israéliennes de la nuit dernière, supposément contre les forces iraniennes en Syrie après une attaque supposée de roquettes iraniennes contre les forces israéliennes sur le Golan – et il est important d’utiliser le mot “supposé” et de ne pas prendre tout cela pour argent comptant. »
En effet, ces prétendues attaques inattendues étaient annoncées depuis des jours par l’armée israélienne, qui avait déjà mené une prétendue « frappe préventive » – bien plutôt une provocation – le 8 mai.
La « ligne rouge » que cette soi-disant présence iranienne constituerait pour Israël est démentie par le fait que Tel-Aviv n’a cessé, depuis le début du conflit, de ralentir la progression de l’armée syrienne et, sous de multiples prétextes (livraison d’armes au Hezbollah, riposte à des tirs réels ou supposés depuis le Golan, etc.), d’assister les groupes terroristes armés de toutes les manières possibles : armes, informations, frappes aériennes coordonnées avec les offensives, soins médicaux aux terroristes, etc.
Israël, le seul régime au monde qui ne craint officiellement rien (et n’a effectivement rien à craindre) de Daech, a vu la situation en Syrie virer du rêve – voir une myriade de groupes terroristes abattre le seul régime arabe anti-israélien et saigner le Hezbollah – au cauchemar – faire face à ses frontières à un Hezbollah, une armée syrienne et un Iran plus puissant que jamais, et alliés à la Résistance palestinienne, à l’Irak et au Yémen, ainsi qu’à la Russie –, ne fait que poursuivre son œuvre déstabilisatrice sous de nouveaux prétextes, et de manière plus directe : Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, avait bien annoncé qu’après la défaite des terroristes en Syrie, leurs commanditaires pourraient intervenir de plus en plus ouvertement.
L’Iran, dont l’opposition au projet raciste et colonialiste d’Israël est un principe et même un dogme depuis le triomphe de la Révolution islamique en 1979, n’est pas facilement provoqué à une réaction épidermique, et a toujours préféré agir avec patience et sur le long terme.
L’objectif de l’Iran n’est pas de mener une simple opération de représailles pour venger ses officiers et soldats délibérément (ou accidentellement, comme ce fut le cas à Quneitra en janvier 2015) tués par Israël, mais bien d’œuvrer à la libération complète de la Palestine en mettant fin au « régime sioniste » illégitime. Comme l’a souligné Hassan Nasrallah, l’agression directe d’Israël contre les forces iraniennes en Syrie constitue un tournant majeur dans l’histoire du conflit israélo-arabe – ou plutôt israélo-arabo-perse –, et Israël doit maintenant s’attendre à affronter directement les forces iraniennes – que ce soit en Syrie, en Palestine occupée ou même ailleurs.
Du reste, lorsque les missiles iraniens entrent en scène, ils sont lancés depuis le territoire de la République islamique d’Iran et avec un succès indéniable, comme l’ont montré les frappes contre Daech à Deir ez-Zor le 18 juin 2017, en représailles aux attaques terroristes survenues à Téhéran.
Comme on le voit, la réalité ne saurait être plus différente de la fable qui a été propagée par la majorité des médias. Israël ment en effet constamment au monde – et, de plus en plus, à sa propre population. Et lorsque ses actions inconsidérées ont des répercussions désastreuses, il publie des communiqués hâtifs dans lesquels il se présente comme une victime d’une part, tout en affirmant d’autre part, via Lieberman et via la Russie, n’avoir aucune intention de se diriger vers une escalade.
Les acteurs rationnels comme l’Iran, la Syrie et le Hezbollah – ou la Russie –, pour leur part, ne sont pas si pressés de s’exprimer et de confirmer ou infirmer les allégations des uns et des autres, laissant leurs adversaires s’empêtrer dans leurs mensonges, et certains de la primauté de la réalité du terrain qui leur devient plus favorable de jour en jour.
Du reste, le fait qu’un revers cuisant pour Israël, qui renverse littéralement la donne stratégique, soit transformé en un succès militaire par la propagande sioniste et atlantiste, et conjugué à des protestations israéliennes de non-belligérance, ne peut que conforter l’axe de la Résistance dans ses choix.
En effet, les installations militaires du Golan sont maintenant directement prises pour cibles suite aux agressions israéliennes, et non plus seulement l’aviation israélienne, qui a déjà vu son fleuron – le F-16 – se faire abattre le 10 février 2018.
L’entité sioniste, qui inflige sans émoi les pertes et dégâts les plus considérables aux Palestiniens et à ses voisins, est pour sa part gravement ébranlée par les moindres pertes, insupportables pour la société israélienne – d’où la sévérité de la censure militaire.
L’accusation contre l’Iran s’explique par des facteurs essentiels (le racisme foncier de la société israélienne et de son Premier ministre, qui croient plus volontiers à une dangerosité de l’Iran perse qu’à celle de la Syrie arabe) et conjoncturels – un refus d’assumer les conséquences de la politique suicidaire du gouvernement Netanyahou, qui l’a amené à une confrontation directe avec l’ensemble de l’axe de la Résistance, pour ne pas dire avec la Russie.
Et surtout, Israël veut capitaliser sur le retrait de Trump de l’accord sur le nucléaire iranien pour faire avancer sa principale obsession, plus ancienne que la crise syrienne, à savoir le programme balistique de Téhéran auquel il veut que l’Occident mette fin en exploitant le sempiternel prétexte nucléaire.
Depuis 2005, Netanyahu espère vainement que les États-Unis et ses vassaux européens pourront la mener pour lui, mais aucune négociation, sanction ou agression ne pourra jamais faire plier l’Iran.
Et la Russie dans tout cela ?
La Russie s’est beaucoup trop investie en Syrie pour permettre à quiconque – qu’il s’agisse de Washington, Tel-Aviv, Riyad ou Ankara – de réduire ses efforts à néant. Elle a affirmé qu’elle ne tolérerait plus de frappes occidentales contre la Syrie en cas de nouvelle mascarade chimique, et qu’elle fournirait à Damas non pas le système antiaérien S-300, mais bien, selon les propos de Sergueï Lavrov, « tout ce qui est nécessaire pour aider l’armée syrienne à prévenir toute agression. »
L’axe de la Résistance, dont la Russie ne fait pas partie, est dorénavant capable de faire face à Israël directement, avec un front uni et sans craindre une escalade. Quant à Israël, déjà débordé par les manifestations pacifiques à Gaza qui doivent culminer le 15 mai, il n’est pas prêt à la guerre contre un seul des membres de l’axe de la Résistance, et encore moins contre plusieurs simultanément.
La nouvelle équation imposée par l’armée syrienne le 10 mai est plus redoutable pour Israël que la perspective de la perte d’un autre F-16, car Damas a montré sa détermination – et sa capacité – à porter la guerre sur le territoire ennemi, et à frapper l’entité sioniste en profondeur.
À la veille du 70e anniversaire de la fondation de l’entité usurpatrice, les frappes syriennes dans le Golan occupé ouvrent incontestablement un nouveau chapitre dans l’histoire des guerres israélo-arabes, dans lequel Israël sera de plus en plus acculé à une position défensive. Quoi qu’il en soit, la prochaine guerre contre Israël bouleversera complètement la carte du Moyen-Orient.
Source: Le Grand Soir