Par Ghorban-Ali Khodabandeh
Après des mois de menaces tarifaires, de provocations sur les réseaux sociaux et de divergences entre capitales européennes sur la riposte à adopter, Donald Trump a obtenu ce qu’il était venu chercher en Europe : un accord avec Ursula von der Leyen. L’accord, conclu le 27 juillet en Écosse, prévoit que la plupart des produits européens exportés vers les Etats-Unis l’UE seraient taxés à 15 %.
Cet accord survient après plusieurs mois d’intenses négociations, menées dans un contexte de fortes tensions liées aux hausses tarifaires décidées par Washington, qui ont perturbé les chaînes d’approvisionnement et alimenté l’inquiétude économique en Europe.
Au lendemain de la signature de l’accord commercial entre Ursula von der Leyen et Donald Trump, beaucoup y voient moins une victoire diplomatique permettant d’éviter une guerre commerciale qu’un acte de capitulation.
L’accord commercial entre l’UE et les États-Unis suscite de vives réactions en France. Taxant les exportations européennes à 15 %, il est jugé déséquilibré par le gouvernement, tandis que Marine Le Pen et La France insoumise dénoncent une capitulation.
Dans les capitales européennes, le soulagement apparent d’avoir évité le scénario du pire s’accompagne de regrets et de questions. Pourquoi l’UE, le plus grand bloc commercial du monde, s’est-elle couchée aussi facilement devant les menaces de Donald Trump ? La présidente de la Commission européenne n’avait-elle pas les cartes en main pour obtenir un meilleur « deal » ?
Les implications de l’accord commercial UE-États-Unis
L’accord, s’il évite l’application immédiate de tarifs douaniers de 30 % sur les exportations européennes, maintient tout de même un droit de douane « plancher » de 15 % sur la plupart des produits de l’UE.
En vertu du « deal » annoncé dimanche, l’UE procédera à « d’importants achats de GNL, de pétrole et de combustibles nucléaires américains », a expliqué Ursula von der Leyen, reprenant ainsi l’engagement pris par son prédécesseur, Jean-Claude Juncker, auprès de Donald Trump en 2018.
En outre, l’accord prévoyant que l’UE achète chaque année pour 250 milliards de dollars supplémentaires d’énergie américaine a déjà été tourné en dérision par de nombreux spécialistes de l’énergie, car cela représenterait une multiplication par près de cinq des 64 milliards de dollars d’énergie américaine importée par l’Union l’année dernière.
Dans le domaine pharmaceutique, Ursula von der Leyen a semé la confusion dimanche en déclarant que les produits européens étaient inclus dans l’accord, laissant entendre qu’ils seraient soumis à des droits de douane de 15 %.
Toutefois, un haut fonctionnaire de la Commission a précisé lundi que les produits pharmaceutiques étaient exemptés de droits de douane. Il existe néanmoins une forte probabilité que les États-Unis imposent des droits après la fin de l’enquête actuellement menée par l’administration américaine au titre de l’article 232 pour déterminer si les produits pharmaceutiques étrangers constituent un risque pour la sécurité nationale. Une enquête similaire est également en cours pour les semi-conducteurs.
Dans le cadre de l’accord, Bruxelles supprime les barrières commerciales sur les importations agricoles américaines telles que le soja et les noix — des produits jugés non sensibles — tout en adoucissant l’accord avec la prolongation d’une clause spéciale favorable concernant le homard.
Si les États-Unis continuent probablement à vendre du homard aux consommateurs européens sans droits de douane, les produits alimentaires européens resteront soumis à un droit d’importation forfaitaire de 15 % aux États-Unis, sans qu’il soit prévu pour l’heure d’exempter des produits spécifiques de l’UE.
Bien que la Commission ait elle-même reconnu que l’UE ne parviendrait probablement pas à atteindre son objectif de produire un cinquième des semi-conducteurs mondiaux d’ici 2030, Ursula von der Leyen a offert à Donald Trump une grande victoire politique dans le domaine des puces électroniques : les semi-conducteurs fabriqués dans l’UE seront soumis à un droit de douane de 15 % dans le cadre de l’accord.
Accord UE-États-Unis : vague de critiques en France
L’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis, annoncé le 27 juillet par Donald Trump et Ursula von der Leyen, a provoqué une tempête de réactions en France. Prévoyant des droits de douane de 15 % sur les produits européens exportés vers les États-Unis, cet accord s’accompagne d’un engagement européen à acheter 750 milliards de dollars d’énergie et à investir 600 milliards aux États-Unis.
Si certains acteurs économiques se satisfont d’une stabilisation temporaire, toutes les personnalités politiques françaises ont dénoncé l’accord, quel que soit leur parti. Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale, a qualifié sur X l’accord de « fiasco politique, économique et moral ».
Elle dénonce une « capitulation » face à Washington, soulignant que l’UE, avec ses 27 États membres, a obtenu des conditions moins avantageuses que le Royaume-Uni post-Brexit. Selon elle, cet accord sacrifie les agriculteurs français au profit des intérêts industriels allemands, notamment en ouvrant davantage le marché européen aux produits agricoles américains.
L’eurodéputé RN Thierry Mariani estime de son côté que cet accord est avant tout « un échec pour Madame von der Leyen ». La France insoumise (LFI), par la voix de Jean-Luc Mélenchon, partage cette indignation et raille un « libéralisme de façade ». Il accuse l’UE d’avoir cédé aux exigences américaines, notamment via une taxe équivalant à 5 % du PIB européen. Mélenchon appelle à « l’insoumission à l’Empire » et prône le non-alignement comme seule alternative viable.
Le gouvernement français, représenté par le ministre délégué chargé de l’Europe Benjamin Haddad, adopte une position nuancée. Sur X, il reconnaît une « stabilité temporaire » pour les acteurs économiques, mais juge l’accord « déséquilibré ». Il déplore le rejet américain du libre-échange et met en garde contre un « décrochage » européen si l’UE ne réagit pas.
Laurent Saint-Martin, ministre du Commerce extérieur, insiste sur France Inter pour que l’Europe affirme sa puissance économique et politique, refusant que « la messe soit dite » avec cet accord. Le Haut-commissaire au Plan Clément Beaune a, de son côté, pris à partie Marine Le Pen en affirmant que celle-ci soutenait Donald Trump. Il a en outre affirmé qu’il fallait plus d’UE : « Il faut que l’Europe accélère et se bouge parce qu’on ne peut pas être les Télétubbies du commerce international ».
Du côté des socialistes, Olivier Faure fustige une « honte » qui privilégie les intérêts nationaux au détriment d’une logique européenne.
En Allemagne, le chancelier Friedrich Merz et les industriels expriment des réserves, tandis que l’Italie, via Giorgia Meloni, salue un accord évitant une guerre commerciale. Cet accord divise profondément, révélant les fractures apparentes en Europe. Donald Trump, qui avait annoncé que les chances d’obtenir un accord étaient de 50-50, semble sortir comme le grand vainqueur de cette séquence.
L’UE admet son incapacité à garantir la promesse de 600 milliards de dollars d’investissement aux États-Unis
L’Union européenne a pu finaliser un accord avec Trump et éviter la guerre commerciale en promettant un investissement colossal aux États-Unis, or ces fonds proviendraient exclusivement des entreprises privées, qui échappent totalement au contrôle de Bruxelles, selon Politico.
L’Union européenne (UE) a admis ce 28 juillet qu’elle ne serait pas en mesure de tenir la promesse de 600 milliards de dollars en investissements dans l’économie américaine, et cela, quelques heures seulement après les négociations commerciales tenues en Écosse avec Donald Trump. La cause principale de cet aveu est que les fonds promis proviendraient dans leur totalité d’investissements du secteur privé, qui ne sont, en aucun cas, soumis à l’autorité de Bruxelles, selon les déclarations d’officiels européens cités par le site d’information Politico.
Lors de sa rencontre avec Trump, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a conclu un accord supposé éviter une guerre commerciale entre l’UE et les États-Unis. Selon les termes de l’accord, l’UE devrait investir 600 milliards de dollars. Or, à ce jour elle totalise 2 800 milliards de dollars d’investissements privés aux États-Unis. Si l’UE arrive à mobiliser son secteur privé, ce montant devrait être porté à 3 400 milliards de dollars au cours des prochaines années.
Selon Politico, deux hauts fonctionnaires de la Commission européenne, dont il n’a pas précisé l’identité, ont fait savoir que les fonds proviendraient exclusivement d’entreprises privées européennes. « L’UE, en tant qu’autorité publique, ne peut garantir cela. Cela dépend des intentions des entreprises privées », a déclaré l’un des hauts fonctionnaires de la Commission. Et à ce stade, il n’existe aucune mesure incitative pour encourager le secteur privé à investir 600 milliards de dollars ni un calendrier précis pour cet investissement. D’ailleurs, ce chiffre ne serait basé que sur des discussions avec différentes associations professionnelles et entreprises afin de connaître leurs intentions d’investissement, selon un autre responsable de la Commission européenne.
Si la promesse d’investissement européenne a été déterminante pour faciliter l’accord avec les États-Unis, elle soulève cependant des objections, dans la mesure où l’on estime qu’un tel investissement se ferait aux dépens des investissements en Europe. L’idée même que le secteur privé veuille investir à une telle échelle soulève aussi des doutes, d’autant plus qu’il ne sera possible en aucun cas de dicter un quelconque investissement aux entreprises européennes.
Faille géopolitique : l’UE peine à faire valoir ses intérêts
Si l’UE a refusé le combat face à Donald Trump, elle avait pourtant de sérieux atouts dans sa manche. Au-delà d’imposer des taxes réciproques sur les biens américains, l’UE aurait pu brandir la menace d’une taxe sur les revenus publicitaires des géants du numérique. Bruxelles avait évoqué en avril cette possibilité en cas d’échec des négociations avec Washington.
Cet accord crée aussi une incertitude autour du projet européen et de ses ambitions écologiques et de réglementation du numérique. Avant Trump, il y avait une stratégie européenne, mais elle est en train de se disloquer sous nos yeux.
Selon des diplomates, des enjeux géopolitiques pourraient aussi avoir pesé dans la balance, en particulier les craintes entourant l’arrêt des livraisons d’armes américaines à l’Ukraine et plus généralement de la dépendance de l’Europe à l’égard de la garantie de sécurité américaine.
À Bruxelles, certains regrettent déjà de ne pas avoir opposé de riposte plus ferme lors des premières hausses tarifaires imposées par Washington. D’autant que les négociations sur les détails ne sont pas terminées et que le président américain pourrait continuer à maintenir la pression sur le bloc des Vingt-Sept.
L’enjeu dépasse le simple commerce des marchandises, qui ne représente qu’une facette des relations entre l’UE et les États-Unis. Il s’agit en effet de ne pas froisser Donald Trump, puisque l’Europe dépend des États-Unis pour sa sécurité et souhaite maintenir une bonne relation avec Washington, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine.
En conclusion, il s’agit d’une nouvelle illustration de la transformation rapide qui s’impose à l’Europe dans le monde tel qu’il se dessine : un monde beaucoup plus conflictuel dans lequel l’Europe n’est pas capable de faire valoir ses intérêts, industriels en particulier. L’accord Washington-Bruxelles devrait ainsi être considéré comme un racket dont les Européens payeront tout à la fois la note économique et celle, plus amère encore, de l’humiliation de ne plus savoir faire autrement que de se plier aux diktats de l’administration américaine.