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Les musulmans dans l'Inde de Modi : réponse aux fanatiques de l'Hindutva irrités par les propos du Leader

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Atefeh Rezaei

Plus tôt cette semaine, le Leader de la Révolution islamique, l'Ayatollah Seyyed Ali Khamenei, a rencontré une délégation d'érudits sunnites iraniens pour marquer le début de la « Semaine de l'unité islamique », célébrée chaque année à l'occasion du bienheureux anniversaire de la naissance du noble Prophète de l’Islam, le très vénéré Mohammad (que le salut de Dieu soit sur lui et sur ses descendants).

Lors de la réunion, l'Ayatollah Khamenei a souligné que l'identité de l’Oumma islamique « une question fondamentale au-delà de la nationalité » et que « les frontières géographiques ne modifient pas la vérité et l'identité de l’Oumma musulmane ».

Il a également souligné qu’il est contraire aux enseignements de l’Islam que les musulmans restent indifférents aux souffrances de leurs coreligionnaires partout dans le monde, du Myanmar à Gaza en passant par l’Inde.

Certaines de ses remarques lors de son discours ont ensuite été publiées sur sa page English X, anciennement Twitter.

« Les ennemis de l’Islam ont toujours cherché à nous rendre indifférents à notre identité commune en tant que l’Oumma islamique. Nous ne pouvons pas nous appeler musulmans si nous sommes inconscients des souffrances endurées par les musulmans au Myanmar, à Gaza, en Inde ou ailleurs », peut-on lire dans l'un des tweets.

Cette déclaration n'a pas été bien accueillie par le gouvernement indien. Le ministère indien des Affaires étrangères a publié un communiqué condamnant « fermement » les propos tenus par le Leader de la Révolution islamique.

Le communiqué qualifie les propos de l'Ayatollah Khamenei de « mal informés et d’inacceptables ».

Les principales chaînes d'information indiennes ont également saisi l’occasion pour « condamner » ces propos et des millions d'utilisateurs actifs des réseaux sociaux dans le pays le plus peuplé du monde ont suivi le mouvement, l'utilisant comme prétexte pour attiser l'islamophobie et l'iranophobie.

Cependant, de nombreuses personnes ont soutenu les propos du Leader de la RII en se basant sur les cas documentés de la manière dont les membres de la communauté musulmane minoritaire en Inde ont été traités injustement, en particulier sous le gouvernement actuel de Narendra Modi.

Plus tôt cette année, dans un discours électoral, le Premier ministre indien Narendra Modi a qualifié les 200 millions de musulmans indiens d'« infiltrés ». Cela n'a pas été une surprise puisque depuis 2014, les dirigeants des Partis au pouvoir ont normalisé la diffamation des minorités musulmanes en Inde démocratique laïque.

Une étude menée par India Hate Lab, une ONG basée aux États-Unis, a révélé qu'au cours du premier semestre 2023, 255 rassemblements de discours de haine ciblant les musulmans ont été documentés dans 17 États indiens.

« Environ 52 % de ces rassemblements de discours de haine ont eu lieu dans des États dirigés par le Bharatiya Janata Party (BJP) de Modi et ont été orchestrés par des entités liées au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), notamment le Vishwa Hindu Parishad (VHP), le Bajrang Dal et le BJP », a rapporté le groupe, faisant référence au Parti au pouvoir et à ses organisations mères.

Un rapport des médias de 2018 a révélé que les discours de haine communautaire de la part de hauts responsables du gouvernement indien avaient intensifié de 500 % entre 2014 et 2018, ce qui a entraîné une augmentation des violences contre les minorités dans le pays.

Selon « Act Now for Harmony and Democracy » (ANHAD), une organisation socioculturelle basée à Delhi, les discours de haine et les crimes haineux contre les minorités religieuses ont considérablement augmenté depuis 2014, lorsque le BJP dirigé par Modi est arrivé au pouvoir.

Dans son livre «Being Muslim in Hindu India » - Être musulman dans l'Inde hindoue -, l’auteur et journaliste indien Ziya Us Salam indique que les musulmans sont devenus « des citoyens de seconde classe, une minorité invisible dans leur propre pays ».

« Ma communauté musulmane est orpheline, non seulement abandonnée par le BJP au pouvoir, mais accusée à plusieurs reprises d’être responsable des prétendus maux de la nation. J’ai le sentiment accablant de faire partie d’un groupe assiégé », écrit le journaliste chevronné qui travaille pour The Hindu.

Depuis le premier mandat de Modi en 2014, près de 50 lynchages d'hommes musulmans liés à la protection des vaches ont été signalés. La campagne du BJP a renforcé les groupes d'autodéfense, qui dans certains cas ont agi avec le soutien tacite des autorités de l'État.

Intégration de la « justice au bulldozer »

Une autre tactique répréhensible utilisée pour cibler les musulmans indiens est ce que l’on appelle la méthode de la « justice au bulldozer ».

Des centaines de cas ont été recensés où les autorités ont utilisé des bulldozers pour démolir des maisons, des entreprises et des lieux de culte musulmans dans différentes régions du pays.

Des rapports indiquent que les autorités de cinq États indiens – Assam, Gujarat, Madhya Pradesh, Uttar Pradesh et Delhi – ont procédé à de telles démolitions à titre de « punition » à la suite d’incidents de violence religieuse ou de manifestations de musulmans.

Un rapport de 2019 de l'ONG indienne « Common Cause » a révélé que la moitié des policiers interrogés faisaient preuve d'un parti pris anti-musulman manifeste, ce qui rend les forces de l'ordre moins susceptibles d'intervenir dans les crimes commis contre les minorités musulmanes.

L’Organisation de la coopération islamique (OCI) a également officiellement condamné le nombre croissant d’attaques violentes contre les musulmans et leurs biens en Inde.

En 2022, l’OCI a dénoncé les propos désobligeants tenus à l’égard du noble Prophète de l’Islam, le très vénéré Mohammad par un responsable du BJP, ce qui a également provoqué de nombreuses protestations parmi les musulmans du pays.

« Ces incidents de diffamation font partie d'une vague croissante d'islamophobie en Inde, parallèlement à des pratiques systématiques contre les musulmans indiens, notamment l'interdiction du port du hijab dans certains établissements d'enseignement, les démolitions de propriétés musulmanes et l'escalade de la violence », a expliqué l'OCI.

Cas récents et documentés de violence contre les musulmans en Inde

Septembre 2024

Le 8 septembre, une foule d'extrême droite hindoue a vandalisé plusieurs magasins appartenant à des musulmans et un Eidgah local dans la région de Kathlal-Balasinor au Gujarat, un État situé sur la côte ouest de l'Inde.

La violence a éclaté après un accident de la route mineur et s'est rapidement intensifiée lorsque la foule hindoue s'est déchaînée, ciblant les propriétés associées aux minorités musulmanes.

Un véhicule a été incendié en plein jour. Des images diffusées sur les réseaux sociaux ont montré des foules saccageant des magasins appartenant à des musulmans tout en scandant bruyamment « Jai Shri Ram » (Gloire au Seigneur Rama, ndlr), attisant les flammes de la violence communautaire.

Selon les rapports des médias indiens, la violence ciblée a eu lieu en présence des forces de l'ordre, avec peu ou pas d'intervention.

Septembre 2024

Ashraf Ali Sayyed Hussain, 72 ans, effectuait un voyage de routine de Jalgaon à Kalyan, dans le Maharashtra, dans l'ouest de l'Inde, lorsqu'un groupe de jeunes hommes se rendant à Mumbai pour un examen de recrutement de la police l'a accusé de transporter de la « viande de vache ».

Ils se sont soudain transformés en justiciers, frappant Hussain au visage, à la poitrine et au ventre, tout en lui lançant des insultes de toutes sortes. Ils lui ont également arraché son téléphone et ont enregistré l'agression, qu'ils ont ensuite diffusée sur les réseaux sociaux sans craindre aucune conséquence.

Malgré des preuves vidéo claires de l'attaque brutale, la police indienne a inculpé la foule en vertu des articles de la loi prévoyant une libération sous caution, les libérant sous caution dans la journée, déclenchant colère et indignation.

Août 2024

Dans un cas de « lynchage de bœuf » signalé à Haryana, dans le nord de l'Inde, un travailleur migrant de 22 ans, Sabir Malik, a été battu à mort par des milices de protection des vaches le 27 août.

Malik, un chiffonnier du Bengale-occidental, résidait à Haryana avec sa femme et son enfant de deux ans, effectuant des travaux subalternes pour joindre les deux bouts.

Des groupes de milices de protection des vaches ont effectué des descentes dans les camps de travailleurs migrants, à la recherche de plats à base de bœuf. Malik a été tué avant même que la police ne puisse confirmer si la viande en question était du bœuf ou autre chose.

Juin 2024

Dans un village quelconque de l'État du Madhya Pradesh, gouverné par le BJP, dans le centre de l'Inde, les autorités ont démoli les maisons d'au moins 11 familles musulmanes soupçonnées d'avoir stocké du bœuf dans des réfrigérateurs.

La répression a eu lieu à l'approche de la fête musulmane de l'Aïd-al-Adha, (fête de sacrifice) et cinq hommes musulmans ont été arrêtés dans le cadre de cette affaire et brutalement malmenés en détention.

Juin 2024

Trois ouvriers du bâtiment musulmans, Nasirul Haque, Mohammed Samiruddin et Mohammed Nasir, ont été battus à mort par une foule hindoue d'extrême droite au Bengale-Occidental, un État de l'est de l'Inde, sur la base d'accusations non fondées de vol d'une vache.

Juin 2024

Junaid Khan, 15 ans, a été poignardé à mort dans un train à Haryana, un État du nord de l'Inde, à la suite d'une dispute sur la répartition des sièges, selon les médias.

La confrontation a dégénéré en une attaque à motivation religieuse contre l'adolescent musulman, au cours de laquelle Junaid a été traité de « Mulla » et de « mangeur de bœuf ».

La foule a jeté sa calotte et son frère a été grièvement blessé lors de l'attaque.

Juin 2024

Une vidéo virale montre Muhammad Farid, 35 ans, battu à mort avec des barres de fer à Aligarh, une ville de l'Uttar Pradesh, l'État le plus peuplé du pays dirigé par le BJP.

Un groupe d'hindous radicaux l'a attaqué après avoir confirmé son identité musulmane. Le frère de Farid, Muhammad Zaki, a déposé une plainte auprès de la police, décrivant l'incident comme un « lynchage collectif ».

« Nous n'avons pas pu lui faire un ghusl (ablution complète) en raison de l'étendue de ses blessures », a déploré  plus tard la sœur de Farid, Zakia Wali, citée par les médias locaux.

Mai 2024

Ghulam Mohammed, 65 ans, a été battu à mort dans l'Uttar Pradesh après qu'un homme musulman et une femme hindoue se seraient enfuis d'un village du district de Meerut.

Les agresseurs, qui seraient membres de l'Hindu Yuva Vahini, un groupe hindou d'extrême droite, ont considéré l'incident comme faisant partie du soi-disant « jihad amoureux », une théorie du complot selon laquelle les hommes musulmans séduisent les femmes hindoues pour les convertir à l'islam.

Avril 2024

Une foule hindoue d'extrême droite a lynché à mort Abou Hanifa et Riazuddin Ali dans l'Assam, un État du nord-est de l'Inde, soupçonnés de vol de vache. L'affaire a ensuite été classée sans suite pour protéger les auteurs du crime.

Avril 2024

Pehlu Khan, un producteur laitier de 55 ans, ainsi que quatre autres hommes musulmans, ont été impitoyablement agressés par une foule hindoue au Rajasthan, un État du nord-ouest de l'Inde. Khan est décédé deux jours plus tard.

La foule les a faussement accusés de trafic de vaches. Après le meurtre, le ministre de l'Intérieur du Rajasthan a justifié le lynchage en affirmant à tort que Khan appartenait à une famille de trafiquants de vaches.

Janvier 2024

Après l'ouverture du temple de Ram par le Premier ministre indien Narendra Modi, des bulldozers ont démoli 15 magasins appartenant à des musulmans dans la région de Mira-Bhayandar, au Maharashtra, dans l'ouest de l'Inde.

Par la suite, des foules hindoues se sont rassemblées dans la zone, ciblant davantage de magasins et de véhicules musulmans.

Janvier 2024

Le 24 janvier, Muhammad Tariq Chaudhary et deux autres travailleurs musulmans circulaient en tempo dans un quartier de Mumbai lorsqu'une foule d'extrême droite hindoue les a arrêtés.

La foule a agressé les trois hommes, leur demandant de scander « Jai Shri Ram », un slogan religieux hindou. Tariq a été traîné hors du rythme et sauvagement battu.

Les ouvriers qui accompagnaient Tariq, Matiullah Shah, 21 ans, et Deen Ali Shaikh, 45 ans, ont été blessés à la tête. Shah a confirmé que la foule leur avait demandé de scander le slogan « Jai Shri Ram ».

Tariq, Shah et Shaikh ont réussi à s'enfuir, laissant le tempo derrière eux.

Des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux montrent des partisans de l'Hindutva en train de se rassembler dans la région. On pouvait voir la foule agresser des musulmans, attaquer leurs véhicules et saccager des biens.

Septembre 2023

Aux premières heures du 26 septembre 2023, une foule a attaché Ishaq à un poteau de fer et l'a frappé sans pitié, l'accusant d'avoir volé une banane, qui était considérée comme du « prasad » (une offrande religieuse pour les hindous) distribuée lors d'un événement de prière pour observer une fête hindoue.

Son père, Wajid, a déclaré que son fils avait été tué « parce qu’il avait mangé du prasad ». « Ceux qui ont tué mon fils ont trouvé offensant qu’un musulman ait touché leur prasad », a-t-il déploré.

La sœur d'Ishaq a ajouté que son frère avait été lynché à mort simplement pour avoir touché le prasad . « Ses ongles étaient cassés, certains arrachés et ses doigts étaient coupés. Il a été sauvagement battu parce qu'il était musulman », a-t-elle poursuivi.

Les voisins d’Ishaq se souvenaient de lui comme d’un garçon simple qui ne pouvait faire de mal à personne.

Septembre 2023

Nurul Hassan, un ingénieur musulman, a été tué après qu'une foule hindoue a attaqué une mosquée à Pusesavali, dans le Maharashtra, dans l'ouest de l'Inde.

Hassan, 31 ans, a quitté son domicile pour se rendre à la mosquée voisine pour la prière du soir. Une foule hindoue a encerclé la mosquée, scandant des slogans anti-musulmans et prononçant des remarques désobligeantes sur l'Islam.

« Environ 150 à 200 hommes hindous se sont rassemblés à l'extérieur de la mosquée et ont commencé à jeter des pierres, endommageant certains véhicules garés », selon un témoin oculaire.

La foule a finalement brisé la porte de la mosquée et y a fait irruption. Selon des témoins oculaires, la foule portait des armes tranchantes, des barres de fer et des matraques.

« Après être entrés dans la mosquée, ils ont commencé à agresser toutes les personnes présentes. Hassan a été frappé à la tête à plusieurs reprises avec une barre de fer. Il s’est effondré sur la terre. Il était déjà mort lorsque nous l’avons soulevé de là », a ajouté le témoin oculaire.

Août 2023

Une mosquée a été incendiée et Muhammad Saad, 22 ans, a été tué par une foule hindoue lorsque des violences ont éclaté lors d'une procession des groupes nationalistes hindous Bajrang Dal et Vishwa Hindu Parishad dans l'État d'Haryana, au nord du pays.

Les violences, qui ont duré plusieurs heures, se sont rapidement propagées aux zones voisines de Faridabad, Palwal et Gurugram, à la périphérie de la capitale Delhi.

À la suite de l’incident, plus de 300 propriétés musulmanes ont été démolies dans un acte de punition collective contre les musulmans.

Février 2023

Deux hommes musulmans, Nasir Hussain, 28 ans, et Junaid Khan, 35 ans, ont été enlevés et brûlés vifs dans leur voiture par un groupe de justiciers des vaches hindous dans l'État d'Haryana, au nord du pays.

Les squelettes calcinés des deux jeunes hommes ont été découverts à l'intérieur d'un SUV (Sport Utility Vehicule). Le principal accusé, Mohit Yadav, 28 ans, est devenu l'emblème de la lutte contre la traite des vaches en Inde.

Atefeh Rezaei est une analyste des affaires stratégiques basée à Téhéran, spécialisée dans les affaires sud-asiatiques.

 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV