Par Xavier Villar
Le meurtre brutal de Nahel, 17 ans, tué par le tir d’un policier français à Nanterre, près de Paris, a déclenché un soulèvement massif contre la violence (post)coloniale du gouvernement français.
Il est prudent de dire que l’ordre postcolonial est postcolonial non pas parce que le colonialisme a pris fin, mais parce que la logique coloniale-raciale qui a privilégié le suprémacisme blanc est remise en question.
Il faut relier le meurtre de Nahel à la violence du gouvernement français, en particulier la violence dirigée contre les musulmans et les personnes non blanches.
Il est à souligner que le jeune garçon était issu d’une famille algérienne, ce qui en France, comme dans toute l’Europe, faisait de lui une cible privilégiée de la violence de l’État et de ses pouvoirs disciplinaires.
L'historien français Emmanuel Blanchard déclare que les origines coloniales de la police en France et dans le monde occidental sont indéniables, mettant en évidence l’implication historique de la police française dans l’esclavage. Selon lui, l’objectif principal de la police était de poursuivre les esclaves en fuite.
Tout au long de la période coloniale et dans l’ère post-coloniale, on observe qu’une des fonctions fondamentales de la police en Occident est celle de la répression et du contrôle des personnes qui s’écartent de la norme. On peut les qualifier de personnes colonisées, racialisées ou, comme le suggère l’anthropologue égyptien Talal Asad, de non laïques.
En France, nous pouvons observer comment la police et les militaires de haut rang ont été impliqués à la fois dans la répression des soulèvements anticoloniaux à l’étranger et dans leur pays.
Par exemple, en 1945, Maurice Papon fut nommé à la tête d’une sous-direction algérienne au ministère français de l’intérieur. En 1958, il est muté à Paris et chargé de combattre la « subversion maghrébine ».
Papon a importé des doctrines, des méthodes et des agents qui avaient été déployés dans la guerre coloniale en Algérie. De plus, il était responsable du massacre de manifestants algériens qui avait eu lieu le 17 octobre 1961, suivant le modèle répressif utilisé contre les manifestations populaires en Algérie.
Ce n’est pas un cas isolé. À une échelle beaucoup plus large, nous observons comment le Département d’État américain a utilisé le film « La bataille d’Alger », réalisé par le cinéaste italien Gillo Pontecorvo en 1966, comme une ressource d’apprentissage pour ses commandants supérieurs afin d’étudier les tactiques de contre-insurrection employées par les Français.
La projection du film avait eu lieu peu après les événements du 11 septembre et visait à entraîner les troupes américaines qui occuperaient plus tard l’Afghanistan.
Cependant, comme l’a souligné Sohail Daulatzai, professeur de l’Université de Californie à Irvine, cette façon de voir le film nie consciemment la logique raciale qui y est présente et la critique du réalisateur de la violence et de l’exploitation coloniale.
« La bataille d’Alger » reste aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était il y a 50 ans, car elle capture habilement la situation politique mondiale actuelle. La « guerre contre le terrorisme » internationale a généré une panique raciale envers « les musulmans » et a donné lieu aux politiques anti-musulmanes qui sont à l’origine du meurtre de Nahel.
Un autre point à considérer est que le film dépeint visuellement comment les Algériens, y compris le protagoniste Ali la Pointe, vivent à la Casbah, entourée de barbelés, de postes de contrôle militaires, de tours de guet et de gardes armés, tandis que la partie européenne de la ville regorge de richesses, de culture et de jardins.
En France, on retrouve une division urbaine et ontologique similaire dans les banlieues, où vivait Nahel, contrairement à d’autres quartiers huppés.
« Banlieue » est un terme largement utilisé qui désigne une zone urbanisée située à la périphérie d’une grande ville. Littéralement, banlieue signifie « lieu interdit ». Ces zones urbaines sont majoritairement habitées par les personnes non laïques.
Les banlieues héritent non seulement de l’urbanisme colonial français en Algérie, mais reflètent également un contrôle politique dérivé du suprémacisme blanc colonial.
Les banlieues, comme les personnes non laïques, existent dans un état d’exception permanente. Ces états ne sont pas une « exception » temporaire ou anormale à la loi, comme le propose le philosophe italien Giorgio Agamben dans son ouvrage.
Pour cette raison, une interprétation exceptionnaliste de l’état d’exception est insuffisante pour comprendre comment la vie des individus racisés, en particulier les musulmans, est soumise quotidiennement à diverses formes de violence.
La guerre coloniale contre l’ennemi intérieur, essentielle à la création et au maintien de l’identité française, est dirigée contre les sujets qui entravent la fermeture du pays.
En ce sens, les musulmans et leur présence publique marquent les frontières du pays.
C’est l’islam, identité politique et caractère global des musulmans, qui menace le projet particulariste et national de la France. C’est pourquoi le gouvernement Macron a tenté de construire un « islam français », en disciplinant l’islam pour qu’il s’inscrive dans le cadre de l’État.
Pour atteindre cet objectif, il est également important de discipliner les personnes non laïques, ceux qui ne représentent pas la nation ou ne se conforment pas aux fantasmes fondateurs de la modernité et de la rationalité.
Le meurtre de Nahel par la police française est plus qu’une tragédie personnelle. C’est un rappel de la façon dont la société occidentale contemporaine est structurée à travers une division non dialectique qui sépare rigidement les êtres humains.
Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur qui partage son temps entre l’Espagne et l’Iran.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)