Selon Abdel Bari Atwan, l’Égypte et la Russie compteront parmi les grands perdants de la conclusion des accords de normalisations d’Abou Dhabi et de Manama avec le régime israélien.
Dans une note publiée sur le site de Rai al-Youm, Abdel Bari Atwan écrit : « Les accords de normalisation émirati et bahreïni mettent pratiquement fin au rôle de médiateur de la Jordanie entre ces pays et Israël, et gèlent le soutien financier à Amman en échange de ce rôle ; et de la même manière, les projets économiques et commerciaux qui en émergeront, perturberont le rôle du canal de Suez en tant que passage commercial vital, notamment le projet israélien pour le pétrole du golfe Persique pour transférer le pétrole des Émirats arabes unis vers l’Europe via le port d’Éilat. »
Selon l’éditorialiste de Rai al-Youm, bien avant la signature de l’accord de normalisation entre les Émirats arabes unis et Israël, mardi dernier, à la Maison-Blanche, Abou Dhabi et Tel-Aviv négociaient depuis longtemps dans le secret du projet de l’exportation du pétrole émirati via le port d’Éilat vers Ashkelon, Ashdod et Haïfa sur la Méditerranée, et peut-être aussi en Europe et aux États-Unis.
D’après certaines sources israéliennes et occidentales, il s’agit de deux projets qui sont proches actuellement de la phase de mise en œuvre.
Le premier projet porte sur la construction d’un pipeline d’Abou Dhabi au port d’Éilat via le territoire saoudien. Le pétrole émirati serait ainsi transféré de Jubail à Yanbu sur la mer Rouge. Ensuite, le projet se servira d’un autre pipeline entre Éilat et Ashkelon qui avait été construit en 1959 vers Éilat à l’époque du régime du Shah d’Iran pour éviter le passage du canal de Suez à l’époque du président égyptien Gamal Abdel Nasser. Dans le cadre de ce projet, un nouveau pipeline de 700 kilomètres doit être construit entre Jubail et Yanbu.
Le deuxième projet consiste à utiliser des pétroliers géants émiratis, dont le tonnage est le double des pétroliers ordinaires qui sont autorisés à emprunter le canal de Suez. Ces pétroliers transféreront le pétrole émirati jusqu’au golfe d’Aqaba (mer Rouge) et de là, ce pétrole sera transféré au port d’Éilat par un pipeline.
Atwan écrit : « Dans les deux cas, le canal de Suez qui génère 5.72 milliards de dollars par un pour le trésor égyptien sera contourné, tandis que les Émiratis et les Israéliens économiseront les taxes de transit par le canal de Suez. »
Pour justifier l’application de ces projets, Israël prétend que le détroit d’Hormuz, la mer d’Oman, Bab el-Mandeb et le canal de Suez ne sont plus sûrs en raison de la « menace iranienne » et de la menace des Houthis yéménites.
Abdel Bari Atwan estime que la question est de savoir si les autorités saoudiennes permettront la construction d’un pipeline émirati sur le sol du royaume. Selon l’auteur, il existe deux théories : la première dit que la réponse est affirmative, d’autant plus que Riyad a déjà autorisé le survol de son territoire par les avions de ligne israéliens qui veulent atterrir dans les aéroports émiratis. La deuxième théorie dit que l’Arabie saoudite ne pourra pas l’autoriser tant qu’elle n’a pas signé un traité de normalisation avec Israël.
Atwan s’interroge ensuite sur la position du Caire : « Le gouvernement égyptien va-t-il s’opposer à ces projets de normalisation qui pourraient étouffer son économie par une sorte de complicité entre Israël et les Émirats arabes unis, et peut-être plus tard l’Arabie saoudite ? »
D’après l’éditorialiste de Rai al-Youm, il serait difficile de répondre à cette question en raison du mutisme total du Caire à ce sujet. Atwan cite un ancien diplomate égyptien qui a souligné : « Ce silence s’explique par la forte alliance du Caire avec Abou Dhabi en ce qui concerne la Libye, mais aussi des inquiétudes des Égyptiens au sujet du projet du barrage hydraulique de la Renaissance. »
Mais cette source ajoute que ce silence ne se poursuivra pas longtemps, car des pertes de revenus en raison de la marginalisation du canal de Suez deviendront insupportables pour Le Caire.
Dans la dernière partie de son article, Abdel Bari Atwan ajoute que l’application de ces projets israélo-émiratis sera également préjudiciable pour la Russie, l’un des plus grands exportateurs mondiaux de gaz et de pétrole. « La construction de ces pipelines ne menacera-t-elle pas d’une manière ou d’une autre la position de la Russie sur le marché d’énergie du Vieux continent ? », écrit-il.