Aujourd'hui, la Turquie connaît un marasme économique dans cette période post-Covid de sorte qu'elle a du mal à sécuriser ses réserves de change sachant que dans le même temps elle doit faire face aux obstacles qu’ont dressés l’Égypte et les Émirats arabes unis sur champ de bataille libyen. Dans de telles circonstances, le voyage d'hier du président Erdogan au Qatar mérite réflexion.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui dirige aussi le Parti de la justice et du développement (AKP), avait suspendu tous ses voyages à l'étranger depuis la pandémie de Covid-19, comme d'autres dirigeants politiques du monde, selon Tasnim News.
Hier jeudi, Erdogan a cependant quitté la Turquie pour la première fois depuis quatre mois. Selon une ancienne tradition, Erdogan se rendait toujours en République d'Azerbaïdjan après chaque élection ou après une longue pause pour montrer dans quelle mesure Ankara donne de une valeur spécifique à ce pays turcophone. Nonobstant, il semble qu' Erdogan ait ignoré cette fois-ci cette routine et ait pris la route du Qatar. La question qui se pose est pourquoi Erdogan a changé de cap.
Au cours de cette visite, Erdogan n'était pas accompagné de son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, très occupée quant à lui par des concertations avec Berlin dans le but de redonner un souffle à l'industrie de tourisme en Turquie qui a toujours été une destination privilégiée des touristes allemands en Méditerranée. Mais, la composition de la délégation accompagnant le président turc témoigne des objectifs financiers, politiques, défensifs et sécuritaire que poursuit Erdogan lors de ce voyage pour l'un des pays les plus riches de la péninsule arabique.
Le ministre du Trésor et des Finances, et gendre aîné d'Erdogan, Brat Albayrak, le patron des services de renseignement turc (MIT) Hakan Fidan, le ministre de la Défense Khulusi Akar, porte-parole de la présidence turque en matière de politique et de sécurité nationale, Ibrahim Kalin, et le directeur de communications au bureau présidentiel turc, Fakhreddin Alton, accompagnaient le chef d’État turc dans sa visite à Doha.
Les multiples dimensions du voyage d'Erdogan au Qatar
La visite en cours du président turc au Qatar coïncide avec des événements importants, dont chacun reflète en quelque sorte l'importance de ce voyage :
1. À l’heure actuelle, la Turquie traverse une situation économique complexe dans la période post-Covid et peine donc à sécuriser ses ressources en devises ; ce faisant, les autorités turques espèrent que dans une telle conjoncture, elles arrivent à obtenir le plus d'aides possibles d'un des plus riches pays arabes, le Qatar, ce dernier s'étant toujours montré très enthousiaste en ce qui concerne de grands investissements en Turquie. Dans le même ordre d’idée, l'émir du Qatar a fait don d'un avion de passagers Boeing au président Erdogan, il y a deux ans et a essayé de montrer dans quelle mesure il attachait une importance particulière à embellir les liens Doha/Ankara.
2. La protestation significative de la Ligue arabe à l'entrée de l'armée turque dans le nord de l'Irak a une fois de plus incité les dirigeants d'Ankara à s'adresser sur un ton dur au monde arabe, et maintenant la visite du « Sultan » au Qatar pourrait témoigner de ce que la Turquie a une approche plus large envers le monde arabe, loin de toute vision nationaliste ou raciste.
3. La Turquie doit faire face aux obstacles qu’ont dressé l'Égypte et les Émirats arabes unis sur le champ de bataille en Libye et espère pourtant pouvoir compter sur le soutien financier et politique du Qatar pour contrer les dangers éventuels des scénarios cachés d'Abou Dhabi.
4. Les relations Turquie/Arabie saoudite étant toujours tendues surtout après l'assassinat criminel du critique modéré du gouvernement de Riyad au consulat saoudien à Istanbul, il n’y a aucun espoir de reconstruire les relations dans une telle situation complexe.
Auparavant, Erdogan s'adressait toujours au roi Salmane dans ses discours, étant toutefois réticent à parler du prince du trône du Royaume saoudien, Mohammed ben Salmane, mais maintenant, en plus du fils, il semble aussi déçu du père si bien qu'il préfère de ne plus parler de l’Arabie saoudite.
5. L'émir du Qatar continue de soutenir les groupes de résistance palestiniens et a été, à l’image de la Turquie, l'un des pays à prendre la position contre le complot israélo-américain visant à annexer un pan stratégique de la Cisjordanie occupée.
6. Ces dernières années, au fur et mesure que la Turquie s'est rapprochée de la Russie, le Qatar a quant lui élargi avec ses relations avec la Russie dans les domaines énergétique et commercial.
Turquie et Qatar, relations commerciales ou alignement politique?
Le volume des échanges commerciaux entre Ankara et Doha n'étant guère considérable, le chiffre d’échanges est passé de 783 millions de dollars en 2015 à 1,4 milliard de dollars quatre ans après.
La Turquie exporte des appareils électriques, des produits laitiers et autres denrées alimentaires, des meubles, des outils et des matériaux de construction au Qatar et importe également du GNL en aluminium et des matières en plastique du Qatar.
Cependant, ce qui est enregistré comme taux des échanges commerciaux entre la Turquie et le Qatar n'est pas vital du point de vue financier pour les deux parties. Par contre, la Turquie compte beaucoup sur le Qatar dans les cas suivants :
1. Les investissements des entreprises et des familles riches qataris en Turquie surtout dans les domaines du tourisme, du logement, de l'énergie, de l'industrie et de la défense.
2. Les tentatives des Turcs pour promouvoir leur sphère de pouvoir dans la région du golfe Persique en établissant des bases militaires conjointes au Qatar.
3. Utiliser la capacité et la possibilité de la coopération du Qatar avec la Turquie pour intervenir dans les dossiers politiques de la région, telles que la Syrie, la Palestine, la Libye et affronter l'Égypte et l'Arabie saoudite.