Des dizaines de morts dans le rang des soldats turcs et l’envoi de navires de guerre russes en Syrie. Erdogan a-t-il saisi le message de Moscou ? « En Syrie, nous n’avons pas de problème, ni avec la Russie, ni avec l’Iran. Nous allons bientôt montrer notre force à ceux-là mêmes qui préfèrent voire une "faiblesse" dans notre souci d’éviter de verser du sang. » C’est ce qu’a déclaré le président turc, Recep Tayip Erdogan, cité par l’agence de presse Anadolu, au sujet de l’opération militaire de son pays contre l’armée syrienne dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie.
Faisant allusion au délai qu’il avait établi pour le retrait des forces de l’armée syrienne d’Idlib, Erdogan a prétendu qu’elles seraient tôt ou tard détruites, si elles ne reculaient pas vers les frontières déterminées par la Turquie.
Ces nouvelles tombent, « alors que l’armée syrienne n’a prêté aucune attention au délai de retrait, établi par Ankara, qui a pris fin ce lundi 2 mars, au matin », tout comme l’a constaté l’éditorialiste du journal Rai al-Youm, Abdel Bari Atwan.
« Et de quel droit le président Erdogan se permet-il de demander à l’armée syrienne de quitter une zone ayant une superficie d’environ 600 km² et qui comprend quatre villes et des dizaines de villages syriens ? », ajoute le journaliste arabe.
L’article revient sur les toutes récentes évolutions survenues sur le front d’Idlib: la destruction de deux avions de combat S-24 syriens, après que la DCA de l’armée syrienne a visé trois drones de l’armée turque, à quoi s’ajoutent la mort de dizaines de militaires turcs lors d’affrontements à Idlib où l’on a affaire désormais à un acteur régional puissant, c’est-à-dire, les combattants du Hezbollah libanais.
D’après Atwan, les évolutions en cours à Idlib font penser aux événements survenus en 2013 à Qousseir, dans la province syrienne de Homs, où les terroristes du Front al-Nosra ont été contraints de se retirer, à peine après l’arrivée des forces du Hezbollah.
« En tout cas, Erdogan a lancé dimanche l’opération Bouclier du printemps à Idlib, impliquant plus de 15 000 effectifs et pas moins de 3 500 véhicules militaires, auxquels s’ajoutent des groupes armés internationalement reconnus comme terroristes, dont et surtout le Front al-Nosra, qu’Ankara a d’ailleurs équipés d’exemplaires améliorés de missiles américains Stinger, portables et tirés à l'épaule tirés », rappelle Rai al-Youm. Ces missiles pourraient représenter une menace pour les avions syriens et russes. « Moscou y voit une transgression de toutes ses lignes rouges », précise Atwan.
« Erdogan ne souhaiterait pas entrer dans une confrontation militaire directe avec la Russie en Syrie ; il sait bien qu’il n’en sortira pas vainqueur, surtout que la Russie sera capable d’utiliser, en cas de besoin, ses bombes tactiques nucléaires. Un expert militaire a évoqué hier cette hypothèse. Étant donné la distance géographique, il serait difficile pour la Russie d’impliquer des soldats et des véhicules blindés, mais elle sera capable d’envoyer des centaines d’avions de combat sophistiqués à la base aérienne de Hmeimim dans la province de Lattaquié. »
Atwan trouve normal que le président russe, Vladimir Poutine, dise non à la demande de son homologue turc de se retirer des affrontements à Idlib.
« D’autre part, il est difficile de distinguer entre les groupes terroristes et les forces turques épaulés par des soi-disant paramilitaires modérés qui leur sont affiliés. La mort de 34 militaire turcs lors d’une attaque dans la banlieue d’Idlib aurait été le premier avertissement russe à Erdogan pour la violation flagrante de l’accord de Sotchi et le processus d’Astana, une première véritable déclaration de guerre à Idlib. »
Alors que la Russie a annoncé être responsable de l’attaque qui a abouti à la mort de 34 soldats turcs, précise l’article, Erdogan a évité d’en accuser directement la Russie. Il a également rejeté l’initiative de son homologue iranien d’organiser une réunion syro-turco-iranienne au sujet d’Idlib.
« Cela signifie qu’Erdogan, malgré ses actes de provocation, espère toujours parvenir à une entente avec Moscou pour se sauver du "piège" ; mais il faudrait le dire : une sortie de l’impasse, si elle existe, ce sera la Russie qui en déterminera les conditions, parce que c’est la Russie qui a la main haute sur le plan politico-militaire à Idlib », a-t-il expliqué.
Erdogan a demandé aux États-Unis d’utiliser leurs missiles Patriot pour protéger les forces turques en Syrie : cela signifie qu’Ankara est dans l’incapacité à utiliser des missiles S-400 russes contre les avions russes. Par ailleurs, si Ansarallah yéménite et ses alliés ont déjà réussi à briser l’impénétrabilité du système de missile Patriot américain, pourquoi le Hezbollah libanais et ses alliés en Syrie ne le feraient-ils pas ?
Le second avertissement russe à l’adresse de la Turquie réside dans l’envoi de deux navires de guerre transportant des missiles de croisière vers la Syrie.
À part ça, Erdogan a reçu ces derniers jours un troisième et un quatrième signal négatif selon le journaliste arabe: « La réponse négative de l’OTAN aux demandes d’Ankara, tandis que la "carte des réfugiés" semble avoir perdu de son efficacité comme levier de pression aux mains de la Turquie ».
Or Rai al-Youm ajoute que « la présence du Hezbollah libanais à Saraqib, accompagnée fort probablement de combattants des Hachd al-Chaabi et de conseillers militaires iraniens, transformera cette guerre, pour le moment limitée, en un conflit régional en bonne et due forme. En outre, l’expérience montre que le Hezbollah libanais est toujours sorti vainqueur de n’importe quelle guerre où il s’est impliqué, que ce soit contre les groupes armés soutenus par les Turcs et Américains en Syrie, ou contre les forces israéliennes. Rien ne dit que la bataille d’Idlib fait exception à la règle.
« Le président turc ferait une grande erreur s’il croit pouvoir obtenir aujourd’hui à Idlib ce qu’il n’a pu obtenir pendant neuf ans. Pendant ce temps, les opposants armés, soutenus par 95 États du monde et recevant des armements européens, en plus des milliards de dollars offerts par les États-Unis et les pays arabes du golfe [Persique], s’imaginaient aux portes de Damas, mais ils n’ont jamais réussi à renverser le gouvernement de Bachar al-Assad. »
D’après l’éditorialiste de Rai al-Youm, « les conjonctures actuelles en Syrie laissent conclure que ni Poutine renoncera à ses acquis stratégiques, ni le gouvernement d’Assad sera renversé. Il n'est pas exagéré de dire que le président syrien Bachar Assad jouit actuellement d’une situation plus forte et plus stable sur le plan interne et régional, par rapport à son homologue turc qui se retrouve isolé et oppressé par les problèmes internes de son pays qui risquent de s'aggraver avec l’arrivé des corps de soldats turcs, en provenance de Syrie ou de Libye. »