Le célèbre analyste des questions politiques du quotidien panarabe Rai al-Youm a évoqué dans un éditorial la tension et la rivalité sévissant entre diverses puissances en mer Rouge.
« L'ombre de la crise du golfe Persique, la guerre du Yémen et des conflits liés à l’eau du Nil plane sur la mer Rouge et cette zone risque d’être militarisée. Les tensions enveniment les deux rives de cette mer où sillonnent 18 millions de baril de pétrole par jour, ce qui équivaut à 13% du commerce mondial », écrit-il.
Situé entre la mer Rouge et l’océan Indien, le détroit de Bab el-Mandeb est considéré comme le point de passage maritime le plus important pour le transport du pétrole. Le Yémen, Djibouti et l'Érythrée, les trois principaux pays qui accueillent des bases militaires étrangères, dominent l’entrée sud du détroit de Bab el-Mandeb.
Cinq pays, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Russie, Chine, États-Unis, France et Royaume-Uni) ont érigé des bases militaires à Djibouti. Récemment, l’Italie, le Japon et l’Arabie saoudite n’ont pas caché leurs velléités pour les rejoindre mais Israël et les Émirats arabes unis ont préféré installer leurs bases en Érythrée alors que la Turquie a vu en Somalie et au Soudan (et plus précisément sur l’île de Suakin) les meilleures zones pour s'enraciner militairement dans le continent noir.
Le président turc Racep Tayyip Erdogan a effectué, le 24 décembre dernier, une visite au Soudan où il a signé 13 accords en matière de sécurité et de commerce.
Erdogan a déclaré le lendemain de sa décoration qu'Omar el-Béchir avait concédé pour une période déterminée de 99 ans, la gestion de l’île de Suakin (située dans le nord-est du pays) à la Turquie. Cette visite a troublé les eaux de la mer Rouge où un calme relatif régnait pendant des années.
L’Égypte supervise de près les agissements de la Turquie dans « sa cour arrière » et la raison en est les relations étroites qu’établissent le Parti de la justice et du développement (AKP) et la Société des Frères musulmans, groupe d’opposition au Caire.
Le pays ne voit pas d'un bon œil le rapprochement soudanais avec la Turquie. Ankara, qui a soutenu les Frères musulmans en Égypte, ne cesse de critiquer la politique du Caire qui en fait de même. Autrement dit, le gouvernement égyptien considère comme une menace directe ce réchauffement des relations entre Khartoum et Ankara. C’est la raison pour laquelle que l’Égypte a déroulé un tapis rouge pour le président érythréen, Isaias Afwerki qui s’est déplacé la semaine dernière au Caire afin de mettre sur pied une coalition régionale face à l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Le gouvernement égyptien n’a pas réagi à la visite du chef de l’État turc à Khartoum. Mais diverses sources d’informations égyptiennes l’ont considérée comme une menace pour la sécurité nationale du pays.
Lorsqu’il a été reçu le 27 décembre 2017 au Palais de Carthage par son homologue tunisien Béji Caïd Essebsi, Erdogan ne s’est pas gêné pour faire le signe de la Rabia, reconnu pour être le symbole de ralliement entre les Frères musulmans, ce qui montre qu’il ne cache point son animosité envers le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.
Les experts sont d'avis que les tensions sont ravivées sur les fronts de l’Est du Soudan, où l’Égypte et l’Érythrée ont fait une coalition et du Sud témoignant d’une alliance nouée entre le Soudan et la Turquie, bénéficiant des soutiens du Qatar.
Certaines dépêches font état du déploiement des troupes égyptiennes dans la zone de Kassal située dans le nord-est du Soudan, affaire qui a poussé Khartoum à y décréter l’état d’urgence pour faire face à toute menace.
Les pays qui ont rompu, le 5 juin dernier, leurs relations avec Doha, à savoir l'Arabie saoudite, l'Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis se trouvent dans le camp Égypte-Érythrée car ils ne désirent pas que la Turquie arrive à lancer une base militaire sur l’île soudanaise de Suakin. En effet, ils craignent que l’expérience amère survenue sur la base qatarie d’al-Udeid se répète au Soudan. Le nombre des militaires turcs déployés sur l’île s’élève à 30.000, ce qui a suscité l’inquiétude de Riyad et de ses alliés.
Plusieurs experts croient qu’il est improbable que le Soudan et l’Égypte s’affrontent car ils souffrent de multiples problèmes économiques et s’occupent de combattre le terrorisme mais l’escalade de tension entre ces deux pays est nourrie depuis les parties étrangères si bien que les troupes égyptiennes ont été installées dans la région érythréenne de Sawa et les tensions montent d’un cran entre ces deux camps.
Certaines sources d’information estiment que la mèche d’une guerre par procuration est prête à s’embraser à Darfour.
Le président soudanais est pointé du doigt pour avoir équipé les rebelles de véhicules blindés. Mais Abdel Fattah al-Sissi a démenti ces chefs d’accusation portés à l’encontre de son homologue soudanais et réaffirmé que « l’Égypte n’entrera jamais dans une guerre contre ses frères et elle ne tramera aucun complot».
L’expérience a montré que personne ne sait quand les guerres commencent ou quand elles se terminent, et le conflit yéménite en est le meilleur exemple.
Qui pouvait prévoir que l’Arabie saoudite, les EAU et le Qatar déclencheraient en mars 2015 une offensive militaire baptisée « Tempête décisive » au Yémen et largueraient leurs bombes sur les zones résidentielles d'un pays aussi pauvre de la péninsule arabique? Pourtant, ces pays faisaient partie des pays qui se sont toujours abstenus d’entrer dans les conflits et les guerres.
Les petites étincelles annoncent une guerre et la mer Rouge pourrait devenir une nouvelle zone de conflits entre les grandes puissances, conclut l'éditorialiste de Rai al-Youm.