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Syrie : la mère des batailles ?

Le désert de Syrie, scène de la bataille finale.

Pour l’Amérique qui voit le monde à travers la lunette de ses intérêts propres, ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient a valeur de test : il s’agit de vérifier quelle stratégie convient le mieux à une superpuissance en déclin qui peine à se tenir debout : entre 2000 et 2007, Obama, dépité par les revers irakien et afghan des États-Unis, avait été amené à opter pour la stratégie dite de « participation aux événements » en lieu et place de celle baptisée « gestion des événements » qu’avait légué les années Bush à la postérité. En apprenti politicien, le président milliardaire Trump semble osciller, lui, entre ces deux modèles stratégiques.

1. En Syrie, la méga victoire que fut la libération d’Alep a changé la donne en faveur de l’axe de la Résistance. Le terrorisme défait, l’armée syrienne et surtout son allié, le Hezbollah, ont pu goûter à cette victoire décisive sous les yeux ahuris d’un Israël dont le Premier ministre Netanyahu s’est rendu précipitamment à Washington (en décembre 2016) pour évoquer en compagnie du président élu le danger qu’une telle victoire faisait courir aux intérêts israéliens. On se rappelle en effet la promesse de Nasrallah, datant de cette même période, selon laquelle la libération d’Alep serait suivie par celle de Raqqa, d’Idlib et de Deir ez-Zor, par un effet domino et que ce serait par la suite le tour du « Golan occupé » d’être arraché des griffes d’Israël..

Consécutivement à ses efforts à Washington, Netanyahu a aussi tenté de convaincre Poutine du danger qu’il y a à voir la Syrie « totalement débarrassée de ses démons » et passer à l’étape suivante, à savoir la reprise de « son Golan » après plus de 40 ans d’occupation israélienne. Poutine aurait poliment écouté les doléances de l’Israélien, lui promettant même de faire tout son possible pour contrer des menaces contre le Golan occupé et Jabal al-Cheikh, tout étant parfaitement conscient qu’il promettait là une chose « quasiment impossible ». Car à présent que l’axe de la Résistance est bien renforcé dans ses assises syriennes, même l’amitié russe ne saurait le dissuader de frapper le mal à la racine.

À défaut d’un soutien russe, Netanyahu s’est donc retourné vers Trump qu’il a réussi à convaincre, à coup de lobbying et d’argent, de s’engager de façon plus perceptible en Syrie. L’Intéressé en est venu dès lors à oublier ses promesses de campagne, se mettant à frapper de ses missiles en février 2017 l’aérodrome de Shayrat à l’est de Homs. Il s’agissait pour le président novice de marquer un point et de porter au grand jour la rupture avec l’ère Obama.

2. Est venu ensuite le temps pour Washington de travailler à l’idée des « zones sécurisées », zones à implanter en Syrie, quelque part sur les frontières avec l’Irak. Le dévolu a été jeté sur une région triangulaire qui s’étend du point de contact entre la Syrie, l’Irak et la Jordanie, à un autre point de contact, placé lui entre la Syrie, la Turquie et l’Irak. Suivant le plan américain, cette zone « sécurisée », d’une profondeur de 50 à 80 kilomètres, devrait servir de pré carré à toute action américaine : une région de 100 kilomètres de longueur et de 50 kilomètres de profondeur que les Américains ont aussitôt interdite à l’Iran et à la Syrie, le leur faisant savoir par l’entremise de Moscou. Ils ont même menacé l’Iran et la Syrie de riposte « au cas où l’interdiction viendrait à être transgressée ».

Était-ce une bonne décision ?

Les stratèges militaires en doutent, car la diversité des groupes armés agissant dans cette zone rend presque impossible leur distinction.

Mais le plan américain contenait d’autres volets : Washington entendait étendre son pré carré jusqu’au point de passage frontalier de Boukamal, puis au nord de Hassaka, quitte à bloquer les frontières terrestres syro-irakiennes et partant, syro-iraniennes. Une fois ce blocage mis en œuvre, Washington comptait instaurer une zone d’interdiction aérienne au-dessus de cette région, imposant de facto un blocus au ciel syrien qui avait surtout en ligne de mire les avions iraniens en partance pour la Syrie et le Liban. La Syrie serait alors dépouillée de l’aide de ses deux alliés que sont l’Iran et le Hezbollah, avec en toile de fond la hausse du quotient sécuritaire d’Israël. Cela aurait pu d’ailleurs aider Daech et al-Nosra, agonisants, à reprendre du poil de la bête et à s’emparer à nouveau des localités déjà libérées à Alep, à Hama et à Homs.

À l’heure qu’il est, aucun des volets prévus dans le projet US ne s’est traduit en actes et l’armée syrienne et ses alliés continuent à dominer les combats dans le désert syrien.

Le sommet de Riyad, le 21 mai 2017. ©Huffington Post

3. Sur fond de ces évolutions militaires, il y a aussi le sommet de Riyad et les événements qui l’ont entouré. En dépit des efforts intenses de Washington, « l’OTAN anti-iranienne » est morte à peine quelques heures après sa naissance. Deux jours après la fin du sommet qui s’est déroulé en présence de Trump au royaume des Saoud, le Qatar a refusé de participer à une coalition guerrière contre l’Iran. Un peu plus tard, le Sultanat d’Oman a qualifié l’Iran de « partenaire stratégique fiable pour les Arabes », avant que l’émir du Koweït n’envoie « secrètement » un émissaire à Téhéran pour affirmer qu’il ne ferait pas partie de la campagne d’hostilité saoudienne déclenchée contre l’Iran. Quant à Erdogan, son absence à Riyad a bien signifié une chose : la Turquie ne veut d’aucune escalade avec l’Iran. Du côté de l’Égypte, al-Sissi a été clair : son discours regorgeait d’allusions accusant le régime saoudien de mettre de l’huile sur le feu des violences. Le Pakistan, lui, a fait montre de son refus de tout aventurisme anti-iranien, en rappelant le général Rahil Sharif à Islamabad, ce militaire retraité que Riyad voulait charger de diriger sa coalition au Yémen. Bref, l’offensive politique américano-saoudienne contre l’Iran a fait flop. Quant à l’offensive miliaire, elle se déroule en ce moment du côté des frontières syro-irakiennes.

Si les États-Unis échouent dans leur projet de créer une « barrière » sur les frontières syro-irakiennes, barrière visant à couper les liens entre l’Iran et le Hezbollah, ce ne serait pas qu’un simple projet militaire de moins… Ce serait tout un pan de la politique néo-colonialiste de Washington dans la région qui irait ainsi s’écrouler, avec en toile de fond une menace réelle qui pèserait sur la survie d’Israël. 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV