L’importance stratégique, économique et géographique du détroit de Bab el-Mandeb et des îles qui l’entourent attire toutes sortes de convoitises, au point que certains analystes y voient « l’épicentre des guerres à venir ».
L’île de Mion au cœur du détroit de Bab el-Mandeb devrait accueillir très prochainement une base militaire américaine. En effet, le président démissionnaire yéménite, Mansour Hadi, l’homme qui a demandé en mars 2015 à l’Arabie saoudite de bombarder son pays pour en « chasser une partie de sa population » et qui fait tout depuis pour que le Yémen soit divisé en deux parties nord et sud, vient d’annoncer son intention de « louer » l’île de Mion à l’Arabie saoudite. En 2016, c’est une autre île stratégique yéménite, Socotra, qui a été, toujours sur l’ordre de Hadi, « louée » aux Émirats arabes unis, un autre pays participant à la coalition anti-yéménite, coupable de la mort de plus de 12 000 civils yéménites.
La durée du bail est de 99 ans, ce qui revient à dire que l’île et ses richesses sont tombées pour le siècle à venir dans l’escarcelle d’Abou Dhabi. Mion, quant à elle, est un district de la province de Taëz, dans l’ouest du Yémen, et se situe à 30 kilomètres du nord du détroit de Bab el-Mandeb. Ce n’est rien de moins que la porte d’entrée de la mer Rouge, ce qui en fait d’ailleurs une « proie privilégiée » pour la force d’occupation et d’agression qu’est l’Arabie saoudite et les satellites qui l’accompagnent dans son équipée militaire. On pense plus particulièrement aux Émirats arabes unis, qui prennent part depuis 2015 au massacre des civils yéménites et qui n’ont qu’un souci, celui de damer le pion à Riyad dans la région de Bab el-Mandeb.
Mais cette expansion est-elle passée inaperçue aux yeux des pays dont l’économie dépend du transit maritime via Bab el-Mandeb ? Non, et la Chine en fait partie.
40 % du transit maritime international des marchandises se fait à travers le détroit de Bab el-Mandeb et la Chine, la plus grande puissance économique du monde, emprunte largement cette voie maritime pour dominer le flux commercial mondial. C’est d’ailleurs pour cette même raison que Pékin, dans un geste totalement inattendu, a vivement condamné l’accord militaire signé entre les États-Unis, l’Égypte et les Émirats arabes unis, lequel prévoit la construction d’une base militaire sur l’île de Mion. Mardi dernier, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a été très clair : « Nous condamnons le déploiement permanent des forces américaines, émiraties et égyptiennes sur un territoire souverain, celui du Yémen, car il s’agit d’une violation flagrante du droit international. La construction de cette base contredit non seulement les intérêts nationaux de la Chine et des pays membres de l’UE, mais elle met aussi en danger la sécurité maritime dans cette région. »
En 2015 et consécutivement au débarquement des mercenaires de Hadi à Mion, la population a été forcée de l’évacuer et de s’installer à Aden. Moins d’un an plus tard, c’est-à-dire en décembre 2016, les commandants militaires américains et émiratis sont arrivés sur l’île avec en poche le plan de la transformation de Mion en « zone militaire ». Or, la récente décision du pantin Hadi de louer l’île à l’Arabie saoudite va à rebours de l’accord militaire qu’ont signé les États-Unis, l’Égypte et les Émirats arabes unis pour accaparer Mion. Certaines sources affirment que le gros des divergences qui opposent les Émirats arabes unis à l’Arabie saoudite dans le sud du Yémen, où les deux « frères ennemis » en sont désormais à se battre l’un contre l’autre, est lié d’ailleurs en partie à cette même île de Mion. La situation est désormais si grave que Hadi s’est littéralement transformé en une balle que chacun des deux pays cherche à attirer dans son camp.
En mai 2009, l’ancien président Sarkozy a ouvert une base militaire à Abou Dhabi, une première hors du territoire français depuis l’indépendance des colonies françaises en Afrique. La démarche vient d’être imitée par les Émirats arabes unis, qui viennent d’occuper à leur tour le territoire yéménite à Aden, à Socotra et à Mion pour y construire des bases militaires.
Pour revenir à la prise de position de Pékin contre la formation de nouvelles bases militaires au Yémen, les experts se demandent une chose : la Chine n’a jamais pris position en faveur d’un arrêt des combats sur la côte ouest du Yémen, pourquoi alors une si soudaine réaction de la part des autorités chinoises ? La Chine sait pertinemment que toute base militaire qui sera ouverte à Mion appartiendra aux Américains. Que les Émirats arabes unis ou l’Égypte fassent partie des signataires du bail, cela ne changera strictement rien à la réalité des choses et ce sera Washington qui commandera. Depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, les États-Unis ont décidé d’une hausse de l’ordre de 9 % des dépenses militaires US, hausse qui est liée au rêve du milliardaire de voir ressusciter la grandeur d’antan des États-Unis, et ce, au détriment de la Chine et de la Russie.
En effet, la présence des États-Unis dans le détroit de Bab el-Mandeb ne peut qu’être au détriment des Chinois, dans la mesure où le détroit de Bab el-Mandeb relie la Chine aux pays du golfe Persique et à ceux de l’Union européenne.
C’est d’ailleurs en réaction à ces menaces éventuelles qui pourraient perturber le transit maritime que la Chine a érigé en 2016 une base militaire à Djibouti, s’engageant à devenir un acteur clé face aux États-Unis et à la France. À ce train, une chose est sûre : la Chine a renoncé à la politique qu’elle a très longtemps suivie, celle qui consistait à faire preuve de prudence militaire. En effet, Pékin sait parfaitement que le commerce international n’est plus aussi sûr sous Trump et que Washington n’hésitera pas à encercler la Chine et à nuire à ses intérêts en mer de Chine.
Mais ce n’est pas uniquement la Chine qui s’oppose à la construction des bases militaires étrangères au Yémen : le vrai gouvernement yéménite, celui qui défend aujourd’hui la souveraineté et l’intégrité du Yémen et qui a son Parlement, a vivement dénoncé mercredi le « marchandage de Hadi avec la puissance d’agression ». « Que l’armée américaine débarque sur notre territoire et qu’elle occupe de surcroît une partie de notre territoire pour s’y installer définitivement, c’est une chose que nous ne pouvons pas tolérer », ont dit les députés dans un communiqué, en allusion à l’accord militaire passé entre les Émirats arabes unis, les États-Unis et l’Égypte. « N’importe quel accord qui foule au pied la souveraineté yéménite est à rejeter. Aucun pays n’a le droit de décider de l’avenir d’un autre pays et l’accord tripartite en question constitue une violation flagrante de l’indépendance du Yémen et une ingérence on ne peut plus claire dans les affaires intérieures yéménites », ont-ils poursuivi.